Torture : la Suisse saisie d'une plainte contre le Procureur général du Bahreïn

Torture : la Suisse saisie d'une plainte contre le Procureur général du Bahreïn©CC
Hommage à Ali Mushaimi tué pendant les manifestations à Bahrein en 2011
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 Les autorités judiciaires suisses sont saisies depuis septembre dernier d'une plainte pour torture déposée contre le Procureur général du Bahreïn¸ Ali Bin Fadhul Al-Buainain.
La plainte a été déposée avec le soutien de quatre organisations dont l'ONG suisse TRIAL (Track Impunity Always) par Jaafar Al-Hasabi, un citoyen britannique né au Bahreïn et résidant aujourd'hui à Londres.
La date du dépôt n'est pas le fait du hasard. Le plaignant, qui a été détenu et torturé en 2010 au Bahreïn, a saisi le parquet suisse à la veille d'une visite à Berne d'Ali Bin Fadhul Al-Buainain.
Ce dernier a cependant pu participer, dans la capitale de la Confédération helvétique, à la Conférence internationale des procureurs dont il a même été élu vice-président, avant de retourner tranquillement dans son pays.
Les organisations de soutien à la plainte s'insurgent contre l'impunité dont bénéficient les auteurs d'actes de torture au Bahreïn. « Les pratiques de tortures d'activistes des droits de l'homme et d'opposants politiques faisant l'objet d'enquêtes du bureau du Procureur général sont devenues systématiques au Bahreïn. Cependant, les hauts responsables impliqués n'ont pas encore été jugés. L'ouverture d'une enquête à l'encontre du Procureur général du Bahreïn est un premier pas dans la lutte contre l'impunité au Bahreïn », affirme Benedict De Moerloose, conseiller juridique de TRIAL.
Dans un entretien avec JusticeInfo.Net, le conseiller juridique de TRIAL regrette cependant que les autorités chargées des poursuites à Berne n'aient pas saisi l'occasion pour empêcher le suspect de quitter le territoire suisse, comme les y oblige la Convention contre la torture.
Les autres organisations qui soutiennent cette plainte sont le European Centre for Constitutional and Human Rights (ECCHR) basé à Berlin, REDRESS  et le Bahraini Institute for Rights and Democracy (BIRD), tous deux basés à Londres. Ces ONGs rappellent à la Suisse son obligation d'ouvrir des poursuites dans cette affaire au nom du principe de compétence universelle.
Sur le texte, la loi suisse de compétence universelle compte parmi les meilleures du continent européen. Mais, comme le déplorait TRIAL dans une récente interview avec JusticeInfo.Net, l'application de cette loi se heurte au manque de ressources et de volonté politique.
Les autorités suisses ont bien ouvert un dossier le 11 septembre. Mais, selon le journal Neue Zürcher Zeitung (NZZ), qui cite Christof Scheurer, porte-parole du procureur de Berne, il ne s'agit pas encore de se pencher sur les faits reprochés au procureur du Bahraën mais de déterminer si la Suisse est juridiquement compétente pour connaître de l'affaire.
Pour De Moerloose, « la suite dépendra de la volonté du procureur d'enquêter sur l'affaire proprement dite ».
En annonçant le dépôt de la plainte, TRIAL, ECCHR, REDRESS et BIRD avaient, dans un communiqué conjoint, exhorté les autorités suisses à « prouver qu'elles prennent au sérieux la Convention des Nations Unies contre la torture et à appliquer leur législation pénale en conséquence ».
« L'arrestation du procureur général bahreïni, ainsi que l'ouverture d'une enquête sur cette affaire, constitueraient des messages clairs contre la torture et en faveur du principe de compétence universelle », avait estimé Wolfgang Kaleck, secrétaire général d'ECCHR.

Décharges électriques

Les actes de torture dont se plaint Jaafar Al-Hasabi sont aussi graves que variés : décharges électriques, coups répétés sur la plante des pieds, détention au secret.
Malgré les inquiétudes exprimées par les Nations Unies sur sa détention au secret et les risques de tortures qu'il encourait, le bureau du Procureur général du Bahreïn a prolongé à deux reprises la détention. Selon les quatre ONGs, « la torture de M.Al-Hasabi a été bien documentée par les Nations Unies et des organisations internationales, comme Human Rights Watch, qui ont publié des rapports sur l'affaire depuis le début ».
Non seulement le Procureur général était au courant des risques de torture pour M. Al-Hasabi, mais pire encore, « un certain nombre de preuves confirment son implication directe », accusent encore ces organisations.
« Même si la torture systématique dans les dossiers politiques avait connu un arrêt vers la fin des années 1990, elle semble avoir repris en 2007 » au royaume bahreïni, poursuivent ces Ongs, citant un rapport de Human Rights Watch.