Arrestation en Suisse d’un ex-ministre gambien accusé d'actes de torture

Arrestation en Suisse d’un ex-ministre gambien accusé d'actes de torture©Carl de Souza/ AFP
Des Gambiens en liesse devant le Palais présidentiel à Banjul le 23 janvier 2016 attendent l'arrivée du président élu Adama Barrow après le départ en exil de Yahya Jammeh
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 Quelques jours seulement après le départ en exil de l’ex-président gambien Yahya Jammeh suite à une menace d’intervention militaire régionale, son ancien ministre de l’Intérieur Ousman Sonko, accusé d’actes de torture, a été arrêté en Suisse où il s’était réfugié. Sonko a été ministre de l’Intérieur de 2006 à septembre dernier lorsqu’il a été démis par son chef Yahya Jammeh. Son arrestation est saluée par l’ONG suisse TRIAL International qui avait déposé une plainte auprès des autorités de Berne où Sonko venait d’introduire une demande d’asile. Quelles sont les allégations contre l’ex-ministre ? JusticeInfo a interrogé Bénédict De Moerloose, responsable de la division des enquêtes criminelles à TRIAL International.

Bénédict De Moerloose: En tant que ministre de l’Intérieur de la Gambie, de 2006 à 2016, Sonko était responsable de la police et des centres de détention. La police a été accusée d’actes de torture à grande échelle ayant visé en particulier dissidents, opposants et journalistes, ainsi l’accusation c’est la torture, en tant qu’auteur direct ou complice. Toutefois, les services chargés des enquêtes au canton de Berne ont maintenant requalifié les crimes allégués en crimes contre l’humanité, ce qui veut dire que le dossier pourrait, selon la loi suisse, être renvoyé devant les autorités fédérales.

Les crimes rapportés sont nombreux. Le régime de Jammeh, dont Ousman Sonko était le bras droit, était réputé très répressif et dictatorial. Les détentions arbitraires étaient devenues une spécialité du régime, accompagnées d’actes de torture et d’autres atrocités. Il est allégué une reponsabilité (criminelle) conjointe de la police qui était sous les ordres d’Ousman Sonko et l’Agence nationale du renseignement qui dépendait de la Présidence. Il y a beaucoup de cas où la police a procédé à des arrestations et remis les détenus aux mains de l’Agence du renseignement, qui les aurait torturés. Néanmoins, même lorsque les suspects étaient entre les mains des Renseignements, c’est le ministre de l’Intérieur qui, selon la loi en Gambie, avait la responsabilité de ces lieux de détention.

JI: Quels sont vos éléments de preuve ?

BDM: Nous avons rassemblé des éléments de preuve en nous basant d’abord sur des rapports de sources telles qu’Amnesty International, Human Rights Watch et les rapporteurs spéciaux sur la torture et les exécutions extrajudiciaires. Il y a aussi des décisions de la cour régionale de la CEDEAO accusant la Gambie de torture, ce qui veut dire qu’il y a un large consensus sur la pratique de la torture par l’ancien régime gambien. Nous avons également pu mener des entretiens avec des avocats experts en droits humains qui ont confirmé ces accusations. Et nous poursuivons nos enquêtes.

JI: Où se trouve Ousman Sonko pour le moment ?

BDM: Selon les médias, il a été arrêté et est en cours d’interrogatoire par la police du canton de Berne.

JI: Comment est-il arrivé en Suisse, à Berne en particulier ?

BDM: Nous ne connaissons pas son itinéraire exact, mais apparemment, il avait déposé une demande d’asile en Suède et en Suisse. Il venait de passer ici en Suisse environ deux mois. Nous avons déposé une plainte pour torture mais, selon le loi suisse, les affaires de tortures sont traitées par les autorités régionales cantonales, alors que les affaires de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre sont de la compétence des autorités fédérales chargées de poursuites. Toutefois, les crimes (dans le dossier Sonko) viennent d’être requalifiés en crimes contre l’humanité, comme je l’ai dit.

JI: Qu’est-ce qui va suivre ? Pensez-vous que les autorités suisses vont ouvrir un dossier?

BDM: Les autorités, qui ont ouvert une enquête criminelle, sont maintenant tenues par la Code pénal suisse et la Convention contre la Torture de mener une enquête approfondie.

JI: Et si un procès avait lieu après l’enquête, ne serait-ce pas un peu inéquitable puisque le patron de Sonko, l’ex-président Jammeh, semble bénéficier d’une sorte d’immunité en échange de son acceptation de sa défaite à l’élection présidentielle ?

BDM: Ce serait un pas important pour la justice. Et ce serait même plus important si certains réussissaient à obtenir une sorte d’amnistie ou d’immunité et si l’impunité prévalait encore. Le fait qu’il a été arrêté est déjà un signe très important pour les victimes et s’il était traduit en justice, ce serait un signe encore plus fort. Cela pourrait aussi enclencher d’autres poursuites.

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