Genève : le Conseil des droits de l’homme à l'heure des populismes

Genève : le Conseil des droits de l’homme à l'heure des populismes©UN/ONU
Salle des droits de l'homme à l'ONU à Genève
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La principale session de l’organe des Nations unies en charge des droits humains s’ouvre lundi à Genève dans un contexte particulièrement sombre, alors que les libertés reculent dans le monde jusqu’au sein des démocraties les mieux établies. Une tendance qui pourrait affaiblir le Conseil des droits de l’homme.

«Nous vivons une période d’incertitude et d’insécurité. Nous ne savons pas où va le monde. Des acteurs (comme la Chine, Ndr) prennent de plus en plus d’importance. Nous avons une nouvelle administration américaine. Cette session du Conseil des droits de l’homme (CDH) nous aidera peut-être à mieux nous orienter et voir dans quelle direction le débat va s’orienter», relève l’ambassadeur Valentin Zellweger, en charge des droits de l’Homme à la mission suisse auprès de l’ONU à Genève.

L’ambassadeur qui est également l’un des quatre vice-présidents du CDH cette année pense en particulier au «segment de haut-niveau» au début de la session, soit trois jours consacrés aux déclarations d'une centaine de dignitaires venus du monde entier, un chiffre record pour l’une des premières réunions internationales depuis l’entrée en fonction de Donald Trump.

Les défenseurs des libertés se montrent particulièrement inquiets. «L’agent pathogène du populisme de la discorde infecte rapidement de nombreuses régions du monde, et une part considérable de ce à quoi nous œuvrons semble désormais être menacée», a souligné Zeid Ra'ad Al Hussein, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme à l’Université de Georgetown (Washington), le 16 février dernier.

De fait, les propos aussi tonitruants que contradictoires – sur l’usage de la torture notamment – du nouveau chef d’une puissance, les Etats-Unis, qui se dit non sans raison protectrice des libertés et de la démocratie dans le monde, ont de quoi semer le trouble. Alors que les démocraties établies d’Europe sont aux prises avec les mêmes tendances populistes. De quoi satisfaire les régimes autoritaires qui trouvent là un argument en or pour confirmer leur politique et leur rejet des valeurs dites occidentales.

Dans leurs rapports annuels sortis ces jours, les deux principales organisations internationales de défense des droits humains (Amnestyexternal link International et Human Rights Watchexternal link) confirment la dégradation de la situation dans le monde en 2016 et l’ampleur du danger incarné par les populistes.

 

Evoquant les diverses instances de protections des droits humains établies dès la fin de la Deuxième guerre mondiale, le Haut-commissaire aux droits de l’homme s’est senti obligé, lui, de rappeler que ces instruments «ne sont pas, comme certains voudraient nous le faire accroire, le résultat d’un gribouillage bureaucratique d’après-guerre. Ils ont été tressés à partir des hurlements des millions de victimes qui sont mortes violemment et qui ont souffert horriblement au fil des siècles. Nous savons très bien ce qui se produirait s’ils venaient à disparaître.»

«En 2016, les formes les plus pernicieuses de déshumanisation sont devenues une force dominante dans la politique ordinaire à l'échelle de la planète. Les limites de l'acceptable ont bougé (…) La communauté internationale avait déjà répondu par un silence assourdissant aux innombrables atrocités de 2016 (…) La grande question qui se pose en 2017 est la suivante: jusqu'où ces atrocités vont-elles aller avant que le monde ne se décide à intervenir ?»

Salil Shetty, secrétaire générale d'Amnesty International, rapport annuel 2017.

Le CDH est concerné au premier chef. Depuis sa création en 2006, l’organe des Nations unies est le théâtre d’une bataille feutrée entre ses 47 membres entre des Etats qui cherchent à renforcer ses prérogatives et d’autres qui veulent les contenir. Jusqu’à maintenant, ce rapport de force diplomatique n’a pas abouti à un affaiblissement du Conseil, ni des traités internationaux en la matière. Un statut quo qui pourrait être rompu par le nouveau locataire de la Maison Blanche.

Un retrait des Etats-Unis?

Lors de son audition de confirmation devant la commission des affaires étrangères du Sénat le 18 janvier dernier, l’actuelle ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’ONU, Nikki Haley a pointé tout particulièrement le CDH. Citant la présence de la Chine et de Cuba comme membre du Conseil, elle s’est interrogée: «Ils y sont essentiellement pour protéger leurs propres intérêts, tout en critiquant d'autres pays pour s'assurer qu'ils leur font passer un moment difficile. Voulons-nous en faire partie? Voulons-nous mobiliser des fonds pour cela?» La remarque de l’ambassadrice américaine est pertinente, même si elle omet de citer les autres membres qui suivent la même tactique, à commencer par l’Arabie saoudite.

C’est toutefois bien la menace financière et la politique de la chaise vide (comme lors de la présidence de Georges W. Bush) qui inquiète. Comme le relève Jean Ziegler, vice-président du Comité consultatif du CDH: «Les USA n’ont toujours pas nommé d’ambassadeur auprès du CDH. Nous ne savons pas à qui parler. Cela augure mal de l’avenir, d’autant que les USA sont les principaux bailleurs de fonds des Nations unies.» Le tribun socialiste n’en préconise pas moins une attitude offensive face à l’administration américaine, si elle persiste à s’en prendre aux droits humains.

«Au lieu de reconnaître que les droits humains sont là pour la protection de tous, ces politiciens privilégient les intérêts ostensibles de la majorité (…) Cet appel au pouvoir absolu de la majorité, doublé d’attaques envers les institutions chargées de contrôler et d’équilibrer les pouvoirs des gouvernements, représente peut-être le plus grand danger à l’heure actuelle pour l’avenir des démocraties occidentales (…) De fait, la montée des populistes en occident semble avoir encouragé bien des dirigeants dans leur mépris des droits humains.»

Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch, rapport annuel 2017.

Pour l’ambassadeur Valentin Zellweger, il est encore trop tôt pour tirer quelque conclusion que ce soit. «Pour le moment, cette administration s’est distraite par une certaine imprévisibilité. Mais il faut être prudent. Ça fait partie d’une transition de cet ordre qu’il y ait des incertitudes au début.»

Que faire ?

Bien conscient des crises et des atrocités qui frappent nombre de régions dans le monde, notamment en Syrie, au Soudan du Sud ou au Myanmar (Birmanie), l’ambassadeur ajoute: «Le plus important est de se rappeler pourquoi nous avons un Conseil des droits de l’homme et une Organisation des Nations Unies et d’insister sur les valeurs qu’elles défendent avalisées par les Etats. Il ne faut pas prendre position contre tel ou tel Etat, parce que nous ne savons pas dans quelle direction nous allons. Il est préférable d’argumenter en faveur de ce qui nous unit, de nos valeurs communes, des droits de l’Homme et de leur importance toute particulière aujourd’hui. C’est le fil rouge de la diplomatie suisse.»

Acteur de longue date de la communauté des droits humains à Genève, Adrien-Claude Zoller insiste, lui, sur le travail à faire en amont. «Le mouvement des droits de l’Homme doit revoir ses priorités en se demandant comment sensibiliser les gens qu’il ne touche pas (comme les électeurs des mouvements antisystèmes, Ndr). Il faudrait une meilleure coordination entre les ONG pour des actions de sensibilisation, alors que la course au financement de ces organisations les incite à la concurrence», pointe le directeur de Genève pour les droits de l’Homme qui forme des défenseurs venus des pays du Sud.  

 

 

Cet article a été publié par swissinfo