OPINION

La justice pénale internationale doit s'attaquer aux destructions environnementales

La justice pénale internationale doit s'attaquer aux destructions environnementales©Flickr/luxerta
Affiche en mémoire de Ken Saro Wiwa Leader Ogoni au Nigeria
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L'exploitation intensive des ressources naturelles induit localement des destructions de l'environnement qui ont des conséquences graves sur l'équilibre de l'écosystème global. Partant de ce fait désormais établi scientifiquement, le Parti Vert Mondial propose de refonder le droit environnemental international sur le modèle du droit pénal international.

En juillet 2010, la Cour pénale internationale (CPI) a lancé un mandat d'arrêt contre Omar el-Béchir, président du Soudan, pour trois accusations de génocide, y compris « par soumission intentionnelle (…) à des conditions d’existence devant entraîner (la) destruction physique », dont l’empoisonnement de sources et de pompes à eau de villes et de villages. Pendant plusieurs années durant les années 2000, des membres des groupes ethniques Four, Masalit et Zaghawa sont morts ou ont dû fuir leur foyer parce que, en plus d’autres violences, leur environnement était détruit.

Que se passe-t-il si les conditions de vie qui entraînent la destruction et le déplacement forcé sont infligées délibérément, mais sans intention de tuer ? Jusqu'à présent, la justice pénale internationale est restée silencieuse. Le célèbre militant écologiste Ken Saro Wiwa (1941-1995) l’a formulé il y a déjà 25 ans dans son célèbre essai Genocide in Nigeria: the Ogoni Tragedy[1]. Même s’il n’y avait pas d’intention de la part des compagnies pétrolières et du gouvernement nigérian de détruire la petite minorité Ogoni vivant dans le delta du Niger, l’exploitation intensive de pétrole depuis 1958 y avait dès les années 1980 déclenché la mort de milliers de personnes par cancer ou par d’autres maladies, mais aussi le déplacement forcé de dizaines de milliers de personnes en raison notamment de la dépossession systématique de leurs terres. Les terres avaient été rendues impropres à produire de la nourriture, et l'empoisonnement généralisé de l'environnement avait rendu toute vie humaine décente quasiment impossible dans la région. En 1995, Ken Saro Wiwa a été condamné à mort et exécuté par la junte nigériane pour avoir dénoncé cette tragédie. Et, malgré quelques procès civils qui ont forcé Shell à offrir une compensation financière à certaines victimes, aucune justice pénale, nationale ou internationale, n’a jamais rendu de décision sur cette situation dramatique.

Aujourd'hui, dans le monde entier, certaines exploitations minières industrielles, déforestations ou émissions intensives de gaz à effet de serre ont d'énormes conséquences humanitaires pour les personnes qui vivent dans les environs ... et même bien au-delà. Les recherches récentes sur le changement climatique, mais aussi sur les « limites planétaires[2] » prouvent qu’une destruction importante de l’environnement à l’échelle locale - pour des finalités économiques ou autres - peut avoir des conséquences graves pour les êtres humains et les autres espèces à d’autres endroits de la planète. En plus de ses conséquences humanitaires, la destruction grave de l'environnement au niveau local devrait être considérée comme hautement criminelle car elle compromet les conditions de toute la vie à l'échelle mondiale. Comme les violations graves des droits de l'homme qui affectent la dignité humaine, elle devrait être considérée comme un crime international.

Il est temps de combler les lacunes du droit pénal international qui permet que des personnes ou des espèces animales entières meurent à cause d’une exploitation trop intensive de la nature

 C’est pourquoi lors du dernier Congrès des partis Verts mondiaux qui a eu lieu à Liverpool fin mars dernier, nous avons rédigé, discuté et finalement voté une résolution visant à lutter légalement contre la destruction de l'environnement. À notre avis, il est grand temps de combler les énormes lacunes du droit pénal international qui permet que des personnes ou même des espèces animales entières meurent à cause d’une exploitation trop intensive de la nature. Pour ce faire, nous suggérons que le droit international et ses plus de 3000 traités fragmentés (sur les océans, les côtes, les forêts ...) soient unifiés dans un code de principes international, comme tous les traités internationaux relatifs au droit humanitaire ont été unifiés en 1998 dans le Statut de Rome fondant la CPI. Au sommet des infractions concernées par ce code de principes contraignant figurerait la destruction de l'environnement qualifiée internationalement de « crime d'écocide », notion qui reste à définir précisément à partir de plusieurs avancées théoriques récentes (limites planétaires, droits de la nature, droits des générations futures, patrimoine commun de l’humanité…).

Dans cette perspective, nous accueillons bien sûr chaleureusement l’intention du Procureur de la CPI d'enquêter sur les crimes du Statut de Rome « qui sont commis au moyen, ou qui entraînent la destruction de l'environnement, l'exploitation illégale de ressources naturelles ou la dépossession illégale de terres »[3]. Toutefois, du fait de certains inconvénients de la CPI, comme son approche complémentaire qui permet malheureusement à divers Etats de ne pas coopérer, nous encourageons la communauté internationale à s'impliquer dans la création d'une Cour Environnementale Internationale placée sous l’autorité des Nations unies. Comme les Tribunaux pénaux internationaux ad hoc créés dans les années 1990 pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, cette Cour devrait avoir suprématie sur les justices nationales. Elle serait être conçue pour prévenir et juger les crimes environnementaux les plus graves et pour être le cœur d’une architecture contraignante de droit international environnemental.

 

* - Benjamin Bibas et Marie Toussaint (Europe Ecologie des Verts, France)

 - Sylvio Michel (Verts fraternel de Maurice)

 - Michael Kellner et Thomas Künstler (BÜNDNIS 90 / DIE GRÜNEN, Allemagne)

 - Tiina Rosberg (Vihreät - De Gröna, Finlande)

- Mikel Rodriguez (Equo, Espagne)

 

[1] « Génocide au Nigéria, La Tragédie ogoni » (Inédit en français) Saros International Publishers, London, 1992.

[2] Neuf « limites planétaires », ou neuf seuils sur les problèmes environnementaux de base, au-delà desquels l'existence humaine serait menacée. Le concept a été introduit en 2009 par un groupe de scientifiques internationaux dirigé par Johan Rockström (Stockholm Resilience Center) et Will Steffen (Australian National University) et comprend le changement climatique, l'acidification des océans, l'appauvrissement de l'ozone, les cycles du phosphore et de l'azote, la perte de biodiversité, le changement de système terrestre, le chargement d'aérosols, la consommation d'eau douce et la pollution chimique.

[3] Document de politique générale relatif à la sélection et à la hiérarchisation des affaires, CPI, Bureau du Procureur, septembre 2016.

 

Traduit par Auriane Biron