Burkina Faso : "ils tirent sur la foule"

Burkina Faso : ©AFP PHOTO / AHMED OUOBA
Des habitants de Ouagadougou brûlant des pneus pour protester contre le coup d'état
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La voix de Vincent est chargée d’émotion. Ce jeune père de famille a assisté aux manifestations de jeudi pour contester le coup d’Etat du Régiment de sécurité présidentiel (RSP) au Burkina Faso. «J’ai tout filmé sur mon téléphone portable mais je n’y retournerai pas. J’ai peur. Je ne prendrai plus le risque de manifester. C’est terrible ce qui se passe. Ils tirent sur la foule», se désole ce burkinabé de Ouagadougou, aux experts de la Fondation Hirondelle venus le rencontrer à proximité de son domicile.

Vincent fustige la nouvelle autorité militaire, le Conseil national de la démocratie, et sa dénomination qui, estime-t-il, ne fait aucune illusion : «Un conseil pour la démocratie? Laissez-moi rire. Ce n’est pas crédible. Je les ai vus faire hier. Ils circulent à moto, armés de kalachnikovs. La population a peur. Quelques minutes avant le couvre-feu, ils ont poursuivi un vieil homme et l’ont frappé avec une ceinture. Je les ai également vus interpeller un jeune homme et l’embarquer à bord d’un Land Cruiser V8. Ce sont les véhicules que conduisent les gradés du RSP.»

Le bilan des affrontements entre jeunes lanceurs de pierre et les éléments armés du RSP à Ouagadougou varie selon les sources, entre 6 et 10 morts pour la seule journée de jeudi. Vincent affirme avoir vu deux cadavres au cours de cette même journée. Des corps abandonnés au bord d’une route en périphérie de la ville, à proximité de son domicile: «Franchement, je ne sais pas qui leur a tiré dessus. Je n’étais pas là lorsque cela s’est passé. Tout ce que j’ai vu, ce sont des impacts de balle, pour l’un sur la tête et pour l’autre sur l’abdomen».

Vincent interrompt subitement son témoignage. Des tirs retentissent à proximité. Dans le centre-ville, des manifestants se regroupent depuis le milieu de matinée. Des volutes de fumée apparaissent à l’horizon. Certaines chancelleries occidentales, qui avaient appelé leurs ressortissants à profiter de l’accalmie de la nuit pour se réapprovisionner, révisent leurs consignes de sécurité. Les occidentaux sont à nouveau invités à respecter les mesures de confinement.

A la télévision, la RTB, passée sous le contrôle des putschistes, annonce la libération du président Michel Kafando, détenu depuis mercredi après-midi, mais aucune image du chef de l’Etat déchu n’est diffusée. Il serait maintenu en résidence surveillée. A Ouagadougou, les informations circulent dans la plus grande confusion. La radio française RFI, dont les programmes avaient été coupés en début de soirée mercredi, est à nouveau disponible. Par grappe, des hommes se regroupent autour des boutiques où des télévisions et des transistors sont disposés.

Dans ce tumulte, un nouveau média tente de s’imposer. Radio «Résistance» a été montée en toute hâte afin d’offrir un canal de communication aux partis politiques opposés au coup d’Etat et à la société civile. Un message de Chérif Sy est diffusé en boucle sur cette antenne. Le président du parlement intérimaire, dissout par la nouvelle autorité militaire, appelle les populations des régions à rallier Ouagadougou pour de nouvelles manifestations. L’homme s’est proclamé président par intérim. A défaut d’un appui de l’armée, restée très discrète depuis le début de la crise, il compte sur le soutien de la population pour asseoir son autorité, face à l’omniprésence du RSP.