GUINÉE : PRÉSIDENTIELLES SOUS TENSION

GUINÉE : PRÉSIDENTIELLES SOUS TENSION©AFP
Supporters du Président guinéen et candidat Alpha Conde pendant la campagne, le 8 octobre 2015
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Ce sera seulement la deuxième fois de leur histoire que les Guinéens pourront élire librement leur Président ce dimanche 11 octobre.  Alpha Conde, le président actuel élu en 2010, brigue un deuxième mandat face à 7 candidats de l’opposition, y compris Cellou Dalein Diallo, qui a perdu d’une courte tête en 2010.  Les violences qui ont éclaté jeudi à Conakry entre partisans des deux rivaux faisant deux morts d'après des sources de sécurité - se sont poursuivies vendredi, dernier jour de campagne, à l'initiative des deux camps, avec de nombreux actes de vandalisme.

Dans l'est du pays, des affrontements entre militants des deux partis jeudi soir dans la sous-préfecture de Banankoro ont fait cinq morts, brûlés dans une maison, et des dizaines de blessés par balle, a indiqué à l'AFP le maire de la commune rurale de Banankoro, précisant que le calme était revenu depuis.

Les élections de 2010 avaient été marquées par des violences. Si cette campagne a été relativement calme jusqu'aux violences de ces derniers jours, elle a quand même attisé des tensions. Les différences ethniques et régionales parmi les 11 millions d’habitants demeurent tranchées. L’Union européenne, qui déploie des observateurs comme l’Union Africaine, la CEDEAO et des  ONG internationales, a exprimé cette semaine son inquiétude. L’indépendance de la commission électorale est aussi mise en question, notamment par l’opposition.

La Guinée, un pays francophone  de l’Afrique de l’ouest, n’a pas connu la guerre civile comme la plupart de ses voisins (Libéria, Côte d’Ivoire, Sierra Leone, Mali…), mais elle est loin d’être un havre de stabilité. En dépit de riches ressources naturelles notamment de bauxite, elle reste un des pays les plus pauvres de la planète. L’ouverture démocratique ces dernières années n’a pas effacé la corruption et la mauvaise gouvernance. Et les problèmes inter-ethniques et régionaux ne sont jamais loin. Si elle compte plus de 20 ethnies, la Guinée est dominée par une opposition historique entre les Peuls (ethnie de Cellou Dalein Diallo) et les Malinkés (ethnie du président actuel Alpha Conde). La région forestière, située à l’extrême sud-est du pays et qui compte nombre d’autres ethnies, a toujours été marginalisée. Elle a eu une fois un président,  Dadis Camara (2008-2009), qui a saisi le pouvoir après le décès de Lansana Conte qui avait gouverné le pays d’une main de fer pendant 25 ans tout comme Sékou Touré le père de l’indépendance. « Dadis »  est actuellement en exil au Burkina Faso et aurait voulu se présenter pour ces élections. Il est inculpé pour crimes graves, notamment des tueries de masse et des viols dans un stade de Conakry le 28 septembre 2009 où son armée a tué une centaine d’opposants. Néanmoins, il bénéficie toujours de soutiens en Guinée Forestière. Le pays a été durement frappé économiquement et socialement par la crise d’Ebola, qui a commencé en Guinée Forestière en février 2014.  

Les médias  étaient contrôlés d’un main de fer par le régime de Lansana Conte, et les médias privés ne sont apparus qu’à la fin des années quatre-vingt-dix. Mais les médias guinéens sont en train de changer, et la Fondation Hirondelle est présente en Guinée pour contribuer au développement  d’une information indépendante. Nous avons joint Amara Camara, rédacteur en chef de Studio Hirondelle Guinée, pour nous aider à comprendre les enjeux de ces élections.

JusticeInfo.Net : Alors le Président Conde brigue un deuxième mandat. Est-ce qu’il va gagner, ou est-ce que l’opposition a des chances sérieuses ?

AC : A l’allure à laquelle la chose évolue, on ne peut pas prédire la victoire d’Alpha Conde ni celle de l’opposition puisqu’ici le vote se déroule sur la base communautaire, il faut le reconnaître, donc chacun des candidats a un bastion bien défini.

JusticeInfo.Net : Est-ce que l’opposition est unie, il y a des alliances ?

AC : Non, il y a sept candidats qui affrontent le Président Conde. Parmi les opposants les plus connus il y a au moins cinq qui sont dans la course. Donc il n’y a pas de candidat unique pour l’opposition. Il y a plus de cent partis en Guinée et les partis qui n’ont pas présentés des candidats ont fait alliance avec chacun des 8 candidats. Mais pour l’instant, tous les leaders de l’opposition sont engagés dans la course.

JusticeInfo.Net : L’opposition accuse la commission électorale, la CENI, de pencher pour le camp présidentiel. Qu’en est-il de l’indépendance de la CENI ?

AC : Au sein de la CENI il y a des représentants de toutes les tendances. L’opposition est représentée par dix membres. Le parti au pouvoir et ses alliés sont représentés par dix membres aussi. Il y a cinq représentants de la société civile et deux représentants de l’administration. Donc pour moi, cette composition permet à la CENI de mener des activités de manière indépendante. Mais en Guinée il y a une crise de confiance entre les acteurs politiques, donc chacun pense que la CENI tourne pour l’autre. Il y a une institution, Afrobaromètre, qui vient de rendre publique une étude menée il y a quelques mois, qui dit qu’un guinéen sur deux n’a pas confiance en la CENI.

JusticeInfo.Net: Est-ce-que la campagne a tourné autour de questions de société et de l’économie, ou est-ce qu’elle a été plutôt marquée par des personnes, des divisions ethniques et régionales ?

AC : Les deux se sont retrouvés dans la campagne. Tantôt c’est les programmes de société que les candidats ou leurs représentants expliquent, ce qu’ils veulent faire au plan économique, politique, éducation ou santé. Mais à l’opposé aussi, chacun s’appuie sur son ethnie, sur sa région pour dire telle région est ma bastion, tel fief est mon fief, telle communauté est ma communauté. Donc on a connu les deux pendant la campagne électorale.

JusticeInfo.Net: Il y a eu des troubles pendant la visite du Président Condé en Guinée Forestière le weekend dernier. Est-ce qu’il y a aussi un facteur « Dadis » qui plane sur ces élections ?

AC : Oui, le facteur Dadis a pesé, parce qu’à part le président sortant qui est accusé de vouloir bloquer Dadis,  tous les autres leaders qui sont venus dans la région (de la Guinée Forestière) ont mis le cas de Dadis en avant, en espérant d’avoir l’adhésion de la communauté, de la base de Dadis, à leur cause. Chacun d’entre eux a dit qu’ils sont en alliance avec Dadis. Il y a même un parti qui a signé une alliance avec le parti de Dadis.

JusticeInfo.Net : Vous dites que les candidats de l’opposition disent qu’ils sont en alliance avec Dadis, ou avec son parti, pour gagner du soutien au niveau des Forestiers. Mais Dadis est accusé de crimes graves. Cela ne les gênent pas ?

AC : Pour le moment, cela ne les gênent pas. C’est de bonne guerre, ils veulent d’abord être élus. Le reste peut-être viendra après, mais pour le moment c’est la course au fauteuil présidentiel. Maintenant, le problème sera l’acceptation des résultats, parce que quand on écoute les leaders politiques, chacun dit que s’il perd, c’est parce que quelqu’un a triché.