Israël : collaboration contrainte avec la CPI

Israël : collaboration contrainte avec la CPI©ICC-CPI
Cérémonie d'accueil de la Palestine à la CPI en présence du ministre palestinien des Affaires étrangères Riad Al-Maki
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Des représentants de la Cour pénale internationale (CPI) devraient se rendre prochainement en Israël, à la demande de la procureure Fatou Bensouda. Une première dans les relations entre Israël – qui n’est pas signataire du Statut de Rome - et la Cour. Mais les attentes des Israéliens et des Palestiniens face aux visiteurs de la CPI, dont ni le mandat, ni le lieu de déplacement n’ont été déterminés, sont pour le moins divergentes.

Après être devenu Etat non membre des Nations Unies fin 2012, la Palestine a ratifié les statuts de la CPI dans la foulée et a été admise comme 123e Etat signataire en avril 2015. C’est donc sur sa demande que la Cour a ouvert une enquête préliminaire début 2015 sur des crimes présumés commis en Palestine. Elle a peu après rédigé un premier rapport, indiquant avoir notamment examiné 66 communications reçues pour des crimes remontant à juin 2014. Une période qui couvre donc les opérations de recherche de l’armée israélienne en Cisjordanie après le kidnapping de trois adolescents israéliens, la guerre à Gaza de l’été 2014, mais aussi les activités de colonisation et de démolitions de maisons palestiniennes jusqu’en 2015. Pour rappel, en 50 jours de conflit à Gaza à l’été 2014, on a dénombré 2 100 morts palestiniens (pour moitié au moins de civils), et 70 morts israélien (en grande majorité des soldats).

Dans son rapport préliminaire, la CPI évoque les crimes présumés de l’armée israélienne mais aussi ceux des groupes armés palestiniens (tirs de roquettes sur les populations civiles ou attaques depuis des bâtiments civils). La Cour relève que dans sa recherche d’informations, elle a demandé la coopération des gouvernements palestinien et israélien. Les premiers documents ont été soumis par la Palestine en juin 2015 et Israël a annoncé un mois plus tard avoir décidé d’ouvrir un dialogue avec la CPI.

 

C’est donc une nouvelle politique, faite d’échange et d’ouverture qu’Israël a décidé de mener avec la Cour de la Haye. Non pas parce que Jérusalem a changé d’avis sur la légitimité de la Cour sur ce terrain, qu’elle réfute. Mais parce que les diplomates israéliens ont décidé de dialoguer pour mieux faire avancer leurs arguments à la Haye. Ainsi un officiel israélien s’exprimait récemment dans le quotidien Haaretz : « Nous n’avons rien à cacher et nous serions heureux de montrer à la Cour de la Haye combien le système légal israélien est sérieux, professionnel et indépendant ». En ajoutant que la visite prévue de délégués de la CPI sera « une opportunité supplémentaire pour exprimer clairement qu’Israël croit qu’il n’y a pas de place pour une intervention de la Cour de la Haye et qu’elle n’a ni l’autorité, ni la justification pour gérer les plaintes de Palestiniens ».

Deux arguments fondent la position israélienne : le premier est lié à la compétence de la Cour. Selon le Statut de Rome, la Cour est conçue pour compléter les systèmes judiciaires nationaux. Elle n’est donc compétente que lorsque les juridictions nationales font défaut. Or Israël a ouvert ses propres enquêtes notamment sur la guerre de Gaza. D’ailleurs la semaine dernière, l’armée israélienne a indiqué avoir classé sans suite une enquête sur le bombardement d’une école des Nations Unies pendant les opérations de 2014, qui avait fait 10 morts. En outre une autre enquête sur les frappes ayant détruit des maisons civiles (des dizaines de milliers d’habitations ont été touchées ou entièrement démolies pendant l’opération Bordure protectrice de 2014), a conclu qu’elles se justifiaient par la présence de « centre de contrôle » du Hamas en leur sein. Au final, les enquêtes menées par Tsahal se sont réduites à l’inculpation de trois soldats pour pillages.

Pour les ONG, les investigations menées à l’interne par Israël sont insuffisantes. Shawan Jabarin, directeur de l’organisation palestinienne de droits de l’Homme Al-Haq estime que « le système judiciaire israélien ne répond pas aux standards du droit international, il n’est pas efficace et les enquêtes ne sont pas menées sérieusement ». De même pour Yehuda Shaul, directeur de l’ONG israélienne Breaking the silence. qui recueille les témoignages de soldats, « le problème des enquêtes de l’armée est qu’elles n’ont jamais touché aux décisions opérationnelles-mêmes, aux règles d’engagement ». Pour Yehuda Shaul « elles ne se sont penchées que sur des manquements de soldats à ces règles d’engagement, sans jamais toucher au commandement-même des opérations ». Il ajoute : « S’il y a eu autant d’enfants tués pendant la guerre de 2014, c’est notamment parce qu’il a été fait usage de l’artillerie dans des zones densément peuplées, alors que la précision des tirs de chars pose problème ».

 

Le deuxième argument avancé par Israël pour contester la légitimé de la Cour est que la Palestine n’est pas un Etat et ne peut donc pas soumettre de plainte à la CPI. Ce que la Cour a déjà rejeté en considérant que le passage d’Etat observateur à celui d’Etat non membre aux Nations Unies a permis à la Palestine d’être désormais partie au traité de Rome.

 

De fait, à la lecture des 7 pages du rapport préliminaire de la CPI, on constate que la politique de collaboration menée désormais par Israël porte en partie ses fruits : le narratif israélien est pris en compte dans la description des événements depuis 2014. Par exemple le décompte du nombre des morts de la guerre à Gaza (moitié combattants et moitié civils dit le rapport, alors que les Palestiniens évoquent généralement 80% de morts civils), ou le nombre de roquettes et mortiers tirés sur Israël par les groupes armés palestiniens.

Pour Israël, la politique d’ouverture défiante avec la Cour est le résultat d’une réflexion sur les conséquences néfastes de son refus de coopérer avec une commission d’enquête de l’ONU en 2009. Après une autre guerre contre le Hamas à Gaza (fin 2008-début 2009), le Conseil de droits de l’Homme des Nations Unies avait mis sur pied une commission d’enquête menée par le juge sud-africain Richard Goldstone. Dans son rapport, la commission Goldstone avait accusé Israël comme le Hamas de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité. Israël avait refusé de rencontrer ces enquêteurs -qui s’étaient par contre rendus à Gaza-, se privant du coup de la possibilité pour ses citoyens cibles des roquettes du Hamas, de s’exprimer officiellement.