Justice au Sri Lanka : les manœuvres dilatoires du nouveau gouvernement

Justice au Sri Lanka : les manœuvres dilatoires du nouveau gouvernement©Flickr
Déplacement d'habitants dans le Nord du Sri Lanka en 2009 suite à une offensive de l'armée
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Le gouvernement du Sri Lanka a demandé la semaine dernière au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU un délai supplémentaire pour honorer ses engagements dans le cadre d’une résolution en 2015 sur la justice pour les victimes de la guerre civile. La communauté internationale avait bien accueilli l’élection surprise du président Maithripala Sirisena début 2015 et ses promesses de justice et réconciliation mais un nouveau rapport des juristes internationaux du Sri Lanka Monitoring and Accountability Panel (MAP) accuse le gouvernement de traîner des pieds et d’être de mauvaise foi. Cette guerre civile qui opposait la majorité bouddhiste cinghalaise du Sud à la minorité hindoue tamoule du Nord et de l’Est, a fait au moins 40 000 morts, 280 000 déplacés et 65 000 disparus. Les derniers épisodes de la guerre en 2009 ont été particulièrement brutaux, avec l’utilisation par l’armée de civils tamouls comme boucliers humains. JusticeInfo a interrogé Kate Cronin-Furman, chercheuse à Harvard et spécialiste du Sri Lanka.

Le gouvernement du Sri Lanka vient de demander au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU un délai supplémentaire pour honorer ses engagements en matière de justice pour les victimes de la guerre. Mais les juristes internationaux du Monitoring and Accountability Panel (MAP) affirment que le gouvernement agit avec mauvaise foi. Votre avis ?

Je pense qu’il est vrai qu’ils n’ont pas fait de progrès dans leurs engagements. Il y a une année et demie que ces engagements ont été pris et il y a eu très peu de changements, je pense donc que le rapport n’exagère pas lorsqu’il dit que ce gouvernement ne semble pas vouloir honorer ses engagements. Le gouvernement avait pris des engagements en 2015 dans le cadre de « Quatre piliers » – le Bureau des personnes disparues, les poursuites, la Commission Vérité et les mécanismes de réparation. Tout ce qui a été fait à ce jour est l’adoption de la loi créant la Bureau des personnes disparues, un texte adopté en août mais qui n’a pas encore été appliqué du tout.

J’apprends que le gouvernement a rejeté les conclusions d’un comité de consultation qu’il avait créé au sein de la société civile…

Ce qui s’est passé c’est qu’ils ont créé le Bureau des Personnes disparues sans se donner la peine de tenir compte des informations qui avaient été recueillies par le comité de consultation. Ce comité a présenté ses conclusions en janvier. Ils (les membres du comité) avaient effectué des missions à travers tout le pays, s’étaient entretenus avec des gens dans toutes les communautés et en étaient revenus avec la conclusion qu’il était important pour les victimes de violations des droits de l’homme de voir la justice rendue et les responsabilités établies. Peut-être que la plus controversée de leurs recommandations était que le gouvernement devait traduire dans les actes son engagement à faire participer des acteurs internationaux dans le processus judiciaire, spécifiquement en ce qui concerne les poursuites contre les présumés responsables de graves crimes internationaux. Il est très difficile de connaître la vraie position du gouvernement, parce qu’un ministre vous dira une chose différente de ce que vous dira un autre, mais ce qui est vrai c’est qu’ils n’ont pas bien accueilli ces conclusions, ils n’ont manifesté aucune intention d’en tenir compte et, en réalité, le Président et le Premier ministre n’étaient pas disposés à recevoir ces conclusions comme ils étaient supposés le faire.

Comment expliquer la résistance du gouvernement à une cour criminelle, surtout avec des juges internationaux ?

Ce gouvernement repose sur une base électorale essentiellement cinghalaise bouddhiste et c’est de cette partie de la population que viennent les militaires. C’est une population qui vénère vraiment les membres de l’armée sri lankaise qu’elle considère comme des héros. Ainsi, une démarche visant à poursuivre ces gens serait lourde de conséquences électorales, sans oublier que des personnes potentiellement complices de crimes graves sont encore dans des positions de pouvoir.

Le Président Sirisenaétait lui-même secrétaire ad interim à la Défense vers la fin de la guerre, donc, sa mise en cause n’est pas tout à fait exclue, et il y a beaucoup d’autres commandants militaires soupçonnés d’avoir ordonné ou au moins permis la perpétration d’atrocités, et qui restent dans le gouvernement ou ont été nommés dans des missions diplomatiques à l’étranger.C’est pourquoi l’éventualité des poursuites est difficile à avaler pour ce gouvernement, en dépit de ses engagements.

Est-ce une cour avec des juges internationaux que les victimes demandent ?

Lorsque je me suis entretenue avec les victimes, elles ont dit que c’était le strict minimum qu’elles pouvaient accepter. C’est dire que la présence d’acteurs internationaux dans une cour hybride chargée de juger les crimes de guerre est nécessaire, mais probablement pas suffisante.

Le rapport du MAP appelle les Nations unies, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l’Inde à faire preuve de fermeté envers le Sri Lanka. Qu’en dites-vous ?

Je pense que la communauté internationale s’est empressée de saluer l’élection de ce gouvernement en 2015 parce qu’il se présentait comme une rupture avec le régime (radical de l’ex président)Rajapaksa et dans cet empressement à soutenir le nouveau gouvernement, ils ont peut-être été trop crédules s’agissant des promesses de justice et n’ont pas exercé de pression làoù cela était nécessaire. Je ne pense pas que les Etats-Unis vont être en tête de file sur cette question maintenant, alors que durant les dernières années, l’administration américaine avait été l’une des principales voix à pousser dans ce sens. D’autres acteurs vont devoir combler le vide, s’ils le peuvent. La déclaration mercredi des Etats-Unis au Conseil des droits de l’homme de l’ONU suggérant qu’il y a eu des progrès en matière de justice pour les violations passées au Sri Lanka ne va certainement pas aider à faire avancer les choses.

Je pense que si la communauté internationale accorde plus de temps pour la mise en œuvre de ces engagements, cela doit s’accompagner de mécanismes clairs d’évaluation des progrès. Le sens de l’engagement pris par le Sri Lanka en 2015 à accepter de l’assistance de l’assistance internationale est sujet de débat depuis plus 18 mois maintenant. Les dirigeants sri lankais répétant invariablement « non, nous n’avons pas promis de juges internationaux » tandis que la communauté des victimes et des voix au sein de l’opinion internationale affirmant que la présence de juges internationaux est vitale et que ceci est un point non négociable. Pour aller de l’avant, il est donc nécessaire que les exigences soient absolument claires ainsi que les engagements du gouvernement et le délai nécessaire.