OPINION

La semaine : les limites de la justice transitionnelle en Côte d'Ivoire et l'impunité au rapport

La semaine : les limites de la justice transitionnelle en Côte d'Ivoire et l'impunité au rapport©Sia KAMBOU / AFP
"L'Éléphant déchainé" annonce l'acquittement surprise de Simone Gbagbo
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L’acquittement de Simone Gbagbo l’ancienne première dame de Côte d’Ivoire accusée de « crimes de guerre » mardi 28 mars par les jurés de la Cour d’assise d’Abidjan constitue l’élément et la surprise majeurs de la semaine de la justice transitionnelle.

Décision de droit ou acte politique du pouvoir : les défenseurs des droits de l’homme et les associations de victimes de la féroce répression qui avait suivi les élections présidentielles de 2010 ont critiqué ce jugement. Le procureur avait demandé la réclusion à vue « au nom de la réconciliation nationale ». L’accusée, elle-même qui purge dans son pays une peine de vingt ans de prison pour « atteinte à la sécurité de l’Etat » avait boycotté son procès entaché d’erreurs et de dysfonctionnements selon les observateurs indépendants et son avocat tout en saluant le verdict a dénoncé cette justice partiale. Me Ange Rodrigue Dadjé a ainsi expliqué : «Nous n’avons pas eu droit à un procès équitable. La justice ivoirienne n’a pas voulu entendre les acteurs des faits dénoncés”. Même critique des associations des victimes comme Willy Neth, le vice-président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme :
« Nous espérions que ce procès allait permettre de révéler la vérité sur une partie de notre histoire. Personne ne peut nier qu’il y a eu des crimes, des victimes, mais là, c’est comme s’il n’y avait pas de coupable, alors nous restons sur notre faim”.

Trois mille personnes avaient été tuées entre novembre 2010 et mai 2011, selon les Nations unies

De fait ce procès même si un appel demeure possible résume toutes les limites de la justice transitionnelle. Seul le camp des vaincus a ainsi été incriminé alors que le Président actuel Alassane Ouattara et les siens ont aussi participé aux violences électorales. Dysfonctionnements et suspicions d’influence du pouvoir pèsent sur la justice locale ivoirienne. Et, enfin les procédures en Côte d’Ivoire et le procès de Laurent Gbagbo, le Président et époux de Simone, que mène à la Haye la Cour Pénale Internationale pour la commission des mêmes faits se sont poursuivis sans la moindre liaison.

La compétence universelle, l’un des piliers de la justice pénale internationale, progresse néanmoins à lire le rapport prudent mais positif préparé par plusieurs ONG.

Rapport sur l'impunité

Le rapport publié par Trial, avec la collaboration de la Fondation Baltasar Garzon (FIGBAR), le European center for Constitutional and Human rights (ECCHR), de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de Redress, montre que la compétence universelle reste la procédure par défaut pour juger les auteurs de crimes internationaux.

« Malgré les attaques constantes, la compétence universelle continue d’être un outil important dans la lutte contre l’impunité . Pour les victimes, c’est souvent le seul moyen d’obtenir justice », souligne le directeur de l’organisation suisse Trial, Phil Grant.

En 2016, quarante-sept suspects de crimes commis à l’étranger ont été jugés devant des juridictions nationales, marquant une progression lente, mais stable, du principe de compétence universelle.

Autre déception pour les tenants de la justice transitionnelle le Myanmar qui peine à sortir de décennies de dictature et où le Prix Nobel Aung San Suu Kiy n’arrive pas à contrôler une armée birmane qui continue à réprimer les minorités ethniques comme les Rohingyas. Ashley South un professeur à l’université de Chiang Mai explique ainsi dans une interview à JusticeInfo.net : Je pense qu'il y a une absence de débat réel sur la justice transitionnelle. C'est en raison des expériences antérieures au Myanmar, en 1988-1989 quand on avait pensé que les militaires devaient rendre compte et que la transition avait été interrompue par les militaires ». Et le chercheur d’ajouter : « il y a beaucoup d'individus traumatisés, de familles et de communautés qui ont beaucoup souffert. Je suis sûr que parmi ces diverses communautés, il y a une forte demande de justice ».

Enfin, explique Pierre Hazan, conseiller éditorial de JusticeInfo.net, la justice transitionnelle trouve aussi ses limites technologiques : les attentes venues des images satellitaires pour traquer les crimes de guerre ont été déçues. «  Les Etats, surtout ceux qui disposent de fortes capacités technologiques ont parfaitement compris le danger des images qui, prises depuis l’espace, se moquent des frontières et pourraient épingler des combattants suspectés d’avoir commis des crimes de guerre. Ils ont donc développé des contre-stratégies, en recourant eux-mêmes à la technologie satellitaire et aux drones afin de manipuler l’information. ». Notamment les Russes en Syrie.

Et de conclure : « Du manque d’images, nous sommes passés au trop plein d’images. A l’heure des fake news et autres « réalités alternatives », cette guerre des récits sur les crimes de guerre s’étend désormais aux images venues du ciel. »