Centrafrique: un très fragile accord de paix avec Sant'Egidio

Centrafrique: un très fragile accord de paix avec Sant'Egidio©afp
Le Président de RCA Faustin Touadéra
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Un très fragile espoir de paix et de répit pour les civils en Centrafrique s'est levé lundi à Rome avec la signature d'un accord de paix pour tenter d'éviter l'"embrasement généralisé" que redoutent les Nations unies depuis la reprise mi-mai des violences communautaires.

Au total 13 groupes rebelles ou milices, principalement anti-Balaka prochrétiens ou ex-Séléka prominorité musulmane, ont paraphé avec les autorités cet accord prévoyant un cessez-le-feu immédiat sur tout le territoire.

Une question se pose après ces cinq jours de discussions sous le parrainage de la communauté catholique Sant'Egidio: cet engagement va-t-il mettre un terme aux affrontements qui ravagent l'ex-colonie française depuis 2013 et le renversement de l'ex-président François Bozizé?

Plusieurs tentative de médiation africaine ont déjà tenté de pacifier ce pays pauvre de 4,5 millions d'habitants, dont 900.000 déplacés et réfugiés du fait du conflit (forum de Brazzaville en juillet 2014, forum de Bangui en mai 2015...).

"La crise centrafricaine ne manque pas d'accords de paix, mais de forces pour les faire respecter", commente à l'AFP le chercheur de l'Institut français des relations internationales (Ifri), Thierry Vircoulon.

Ces initiatives, ainsi que l'intervention de la France (2013-2016) et de la Mission des Nations unies (Minusca, quelque 12.500 hommes) ont permis début 2016 l'élection d'un nouveau président, Faustin-Archange Touadéra, la fin des massacres de masse et le retour au calme dans la capitale, Bangui.

"Force est de constater malheureusement que tous ces investissements sont demeurés insuffisants. Les groupes armés contrôlent toujours une grande partie du pays, le maintenant ainsi dans une instabilité permanente malgré la présence de la Minusca", déplorait récemment l'ambassadeur de la Centrafrique aux Nations unies, Léopold Ismael Samba.

- 'Restauration de l'Etat' -

Le cessez-le-feu immédiat doit intervenir "sous le contrôle de la communauté internationale", alors que la Minusca mettait publiquement en garde il y a six jours un des groupes signataires, la fraction ex-Séléka du Front populaire pour la renaissance de Centrafrique (FPRC), contre "tout projet d'attaque sur Bangassou", à 470 km à l'est de Bangui.

"Le gouvernement se charge d'obtenir la représentativité des groupes militaires à tous les niveaux" dans le processus de désarmement, poursuit l'accord, alors que, sur le terrain, ce processus patine.

Des membres de ces groupes armés feront l'objet d'une "insertion (...) dans les forces de défense" du pays, suivant des "critères préétablis" et suite à une "mise à niveau".

Ce point répond à une revendidation des ex-Séléka, qui affirment lutter contre la marginalisation des musulmans (20% de la population) dans la société, les institutions et l'armée.

Les signataires s'engagent à "la restauration de l'Etat sur toute l'étendue du territoire national". Mais pour l'instant, la Centrafrique ne dispose que d'un embryon d'armée réduite à deux ou trois bataillons formées par une mission de l'UE. En dehors de Bangui, l'Etat ne fait que de timides incursions quand il le peut sous la protection de la Minusca, dans un pays grand comme la France et la Belgique réunis (plus de 600.000 km2).

"Sur les 16 préfectures que compte la République centrafricaine, 14 se trouvent sous l'occupation des groupes armés. Tout effort du gouvernement tendant à déployer l'administration dans l'arrière-pays est aliéné", selon l'ambassadeur centrafricain à l'ONU.

"Il n'y a jamais eu un controle de tout le territoire par l'autorité centrale centrafricaine, c'est utopique", indiquait récemment à l'AFP une source française.

L'accord ne dit en revanche rien sur la Cour pénale spéciale (CPS), qui doit prochainement commencer à instruire les crimes de guerre commis en Centrafrique depuis 2003.

"Nous saluons un accord historique pour la République centrafricaine, un accord plein d'espoir", s'est félicité le président de Sant'Egidio, Marco Impagliazzo.

Le ministre des Affaires étrangères, Charles Armel Doubane, a évoqué "une journée d'espoir" à l'issue de ces négociations en présence du patron de la Minusca, Parfait Onanga-Anyanga.

"Il faut s'assurer que toutes les parties vont respecter cet accord. A la Minusca, nous allons travailler avec tous les partenaires pour la cessation, tout de suite, des hostilités, pour que cesse les violences contre les populations", a indiqué à l'AFP un porte-parole de la force onusienne, Vladimir Monteiro.

La violence avait repris de plus belle mi-mai quand la Minusca avait perdu six Casques bleus dans des affrontements à Bangassou. Des dizaines de civils avaient été tués dans l'attaque du quartier musulman par un groupe armé inconnu, des anti-Balaka d'après la Minusca. Des dizaines d'autres avaient péri dans des affrontements à Bria ou Alindao. Le patron des Nations unies, Antonio Guterres, avait exprimé la crainte d'un "embrasement généralisé".

 

Les affrontements  depuis 2013

 

La Centrafrique, où un accord a été signé lundi entre gouvernement et 13 groupes armés, a basculé en 2013 dans la violence avec le renversement de François Bozizé par les rebelles à majorité musulmane de la Séléka, suscitant une contre-offensive de milices chrétiennes, les anti-Balaka.

Si le niveau des violences n'est plus celui de 2013, 50 à 60% du pays restent sous le contrôle des groupes armés.

- Violences Séléka/anti-Balaka -

Le 24 mars 2013, les rebelles de la Séléka prennent Bangui, chassant François Bozizé, au pouvoir depuis dix ans. Leur chef, Michel Djotodia, s'autoproclame président.

Début septembre, de violents affrontements entre ex-rebelles de la Séléka et groupes d'autodéfense -- chrétiens comme la très grande majorité de la population -- autour de Bossangoa (nord-ouest) font une centaine de morts.

Des milices chrétiennes d'autodéfense, les "anti-Balaka", se sont créées en réaction aux exactions commises contre la population par les ex-Séléka depuis leur prise du pouvoir.

- La France lance Sangaris -

Le 5 décembre 2013, une explosion de haine embrase Bangui: des miliciens anti-Balaka (littéralement antimachettes), infiltrés dans la capitale, lancent une vaste offensive, massacrant de nombreux civils musulmans et entraînant des représailles sanglantes de la Séléka contre la population.

La France, intervenue plusieurs fois déjà dans son ancienne colonie depuis son indépendance en 1960, lance l'opération Sangaris pour restaurer la sécurité, après un mandat de l'ONU.

- Djotodia démissionne -

Le 10 janvier 2014, Michel Djotodia, accusé de passivité face aux violences, démissionne sous la pression des dirigeants d'Afrique centrale et de la France. Le 20 janvier, la maire de Bangui, Catherine Samba Panza, est élue présidente de transition par le Parlement provisoire.

Le 15 septembre, la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca, 12.500 hommes actuellement) prend le relais de la force africaine Misca.

Le 8 janvier 2015, une commission de l'ONU conclut que les deux camps ont commis des crimes contre l'humanité, y compris un "nettoyage ethnique", mais que l'intervention internationale a évité un génocide. La commission estime que le conflit a fait "des milliers de morts", sans doute plus de 6.000.

Les 29-30 novembre, le pape François effectue une visite à Bangui.

- Processus électoral -

Les 13 et 14 décembre 2015, les Centrafricains approuvent lors d'un référendum une nouvelle Constitution, qui prévoit la proclamation d'une 6e République, une limite du mandat présidentiel à deux exercices, la formation d'une Haute cour de justice et des dispositifs de lutte contre la corruption et de mise à l'écart des bandes armées.

Le 14 février 2016, l'ex-Premier ministre Faustin-Archange Touadéra est élu président au second tour de la présidentielle (62,69%).

Le 31 octobre, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, proclame officiellement à Bangui la fin de trois ans d'opération Sangaris.

- Regain de violences -

Le 9 juin 2017, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, se déclare "préoccupé par l'instabilité généralisée", après des affrontements qui ont fait une centaine de morts en mai à Bangassou, Alindao et Bria, dans le centre du pays. Six Casques bleus sont tués mi-mai à Bangassou et sa région.

"Les affrontements prennent de plus en plus une connotation religieuse et ethnique, s'alarme de son côté le Bureau de coordination des Affaires humanitaires de l'ONU (Ocha).

Plus de la moitié des Centrafricains, soit 2,2 millions de personnes, ont besoin d'aide ou sont dans une situation d'insécurité alimentaire, selon le représentant spécial de l'ONU.