Centrafrique : « le rapport de force est en faveur des groupes armés"

Centrafrique : « le rapport de force est en faveur des groupes armés©MINUSCA
Armes saisies sur des ex Seleka le 11 février 2015 à Bria par une opération conjointe de la MINUSCA et de la force française Sangaris
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Chercheur associé au Programme Afrique subsaharienne de l'Institut français des relations internationales (Ifri), Thierry Vircoulon enseigne les questions de sécurité en Afrique à l'Ecole des Relations Internationales de Sciences-Po Paris. Dans une interview accordée à JusticeInfo.Net, il ne se fait guère d'illusion sur les chances de mise en application du nouvel accord inter-centrafricain signé le 19 juin à Rome. Pour lui, il n'y aura aucun accord crédible aussi longtemps que le rapport de force sur le terrain restera en faveur des groupes armés. Le 20 juin, quelques heures seulement après la signature de l’accord, des affrontements entre milices ont fait une centaine de morts, à Bria, dans le centre du pays.

Thierry Vircoulon Chercheur à l'IFRI

 

Quelles sont les chances de mise en œuvre du nouvel accord inter-centrafricain signé à Rome sous l'égide de la communauté Sant'Egidio ?

Les chances de mise en oeuvre de ce nouvel accord sont nulles. Les faits le démontrent. De violents combats qui ont fait environ 50 morts ont eu lieu à Bria le lendemain de la signature de l'accord et il semble que Noureddine Adam, le chef du FPRC* (ndlr : Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique) ait déjà désavoué l'accord. On ne voit pas pourquoi la compétition violente des groupes armés au centre et à l'est du pays qui a débuté au milieu de 2016 s'arrêterait. En effet, les enjeux pour eux restent élevés (notamment en termes de contrôle de l'accès à certaines ressources), leurs rancoeurs tenaces (notamment entre anciens frères d'armes de l'ex-Seleka) et leur volonté de tenir des villes stratégico-commerciales intactes. Par ailleurs, comme d'habitude, cet accord n'a pas été signé par les seigneurs de guerre eux-mêmes mais par des seconds couteaux. Un accord qui n'est pas signé par les vrais décideurs a peu de chance d'être mis en oeuvre.  

Cet accord apporte-t-il quelque chose de nouveau par rapport aux précédents ?

Strictement rien. Ce n'est qu'une reformulation des mêmes idées qu'on retrouve dans les précédents accords. On note que la question de l'amnistie est soigneusement évitée car elle est extrêmement contentieuse. Les auteurs de cet accord l'évitent en utilisant la pirouette de la commission vérité et réconciliation qui devrait faire des recommandations pour la réinsertion des leaders des groupes politico-militaires, i.e des seigneurs de guerre... 

Pensez-vous la communauté internationale exerce toute la pression diplomatique et militaire nécessaire en faveur de l'arrêt des violences ?

Non, en fait, l'ONU a une capacité très limitée de containment des groupes armés et aucune capacité d'influence sur eux. L'attaque de la ville de Bangassou en mai, le fait que cette ville soit toujours aux mains des anti-balaka** un mois plus tard et le découpage à la machette de plusieurs casques bleus montrent leur ineffectivité. Sur le terrain, le rapport de force est pour le moment en faveur des groupes armés. Non seulement les casques bleus ont montré à plusieurs reprises qu'ils ne pouvaient pas protéger la population mais l'embuscade dans laquelle ils ont perdu 5 hommes au début du mois de mai montre qu'ils ne peuvent se protéger eux-mêmes. La MINUSCA n'a pas les capacités militaires de reprendre le contrôle des villes soumises actuellement à la violence des groupes armés (Bria, Bangassou, Alindao, etc.). En ce sens, on peut dire que la communauté internationale ne met pas la pression nécessaire pour l'arrêt des violences.

Quelle serait pour vous la solution à la crise centrafricaine qui n'a que trop duré?

Aucune négociation ou accord crédible n'aura lieu tant que le rapport de force sera en faveur des groupes armés. Il faut que la communauté internationale (i.e les pays décideurs à l'ONU) décide de mettre les moyens pour changer ce rapport de force en faveur des casques bleus. C'est sous la contrainte que les groupes armés seront forcés de négocier véritablement. Les différents médiateurs (Sant Egidio, l'Union Africaine, l'Organisation de la Conférence Islamique, etc.) sont condamnés à des simulacres d'accords tant que les groupes armés sont les plus forts sur le terrain. La crise centrafricaine suit le même chemin que la crise congolaise où la MONUSCO n'a réussi à s'imposer aux groupes armés qu'une seule fois en 2013 contre le M23 (ndlr : Mouvement du 23 - Mars, défait une année après sa création en 2012 dans l’Est de la République démocratique du Congo).

 

*Le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) est l’une des principales factions issues de l’ex-Seleka, la coalition rebelle qui avait chassé du pouvoir le président François Bozizé en mars 2013. Impliqués dans de nombreuses exactions contre la population, les rebelles de la Seleka ont dû faire face aux milices d’auto-défense anti-balaka, qui, à leur tour, se sont livrées à des violences contre la population civile.

 

 

60% du pays sous contrôle des groupes armés

 

La Centrafrique, où un accord a été signé lundi entre gouvernement et 13 groupes armés, a basculé en 2013 dans la violence avec le renversement de François Bozizé par les rebelles à majorité musulmane de la Séléka, suscitant une contre-offensive de milices chrétiennes, les anti-Balaka.

Si le niveau des violences n'est plus celui de 2013, 50 à 60% du pays restent sous le contrôle des groupes armés.

- Violences Séléka/anti-Balaka -

Le 24 mars 2013, les rebelles de la Séléka prennent Bangui, chassant François Bozizé, au pouvoir depuis dix ans. Leur chef, Michel Djotodia, s'autoproclame président.

Début septembre, de violents affrontements entre ex-rebelles de la Séléka et groupes d'autodéfense -- chrétiens comme la très grande majorité de la population -- autour de Bossangoa (nord-ouest) font une centaine de morts.

Des milices chrétiennes d'autodéfense, les "anti-Balaka", se sont créées en réaction aux exactions commises contre la population par les ex-Séléka depuis leur prise du pouvoir.

- La France lance Sangaris -

Le 5 décembre 2013, une explosion de haine embrase Bangui: des miliciens anti-Balaka (littéralement antimachettes), infiltrés dans la capitale, lancent une vaste offensive, massacrant de nombreux civils musulmans et entraînant des représailles sanglantes de la Séléka contre la population.

La France, intervenue plusieurs fois déjà dans son ancienne colonie depuis son indépendance en 1960, lance l'opération Sangaris pour restaurer la sécurité, après un mandat de l'ONU.

- Djotodia démissionne -

Le 10 janvier 2014, Michel Djotodia, accusé de passivité face aux violences, démissionne sous la pression des dirigeants d'Afrique centrale et de la France. Le 20 janvier, la maire de Bangui, Catherine Samba Panza, est élue présidente de transition par le Parlement provisoire.

Le 15 septembre, la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca, 12.500 hommes actuellement) prend le relais de la force africaine Misca.

Le 8 janvier 2015, une commission de l'ONU conclut que les deux camps ont commis des crimes contre l'humanité, y compris un "nettoyage ethnique", mais que l'intervention internationale a évité un génocide. La commission estime que le conflit a fait "des milliers de morts", sans doute plus de 6.000.

Les 29-30 novembre, le pape François effectue une visite à Bangui.

- Processus électoral -

Les 13 et 14 décembre 2015, les Centrafricains approuvent lors d'un référendum une nouvelle Constitution, qui prévoit la proclamation d'une 6e République, une limite du mandat présidentiel à deux exercices, la formation d'une Haute cour de justice et des dispositifs de lutte contre la corruption et de mise à l'écart des bandes armées.

Le 14 février 2016, l'ex-Premier ministre Faustin-Archange Touadéra est élu président au second tour de la présidentielle (62,69%).

Le 31 octobre, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, proclame officiellement à Bangui la fin de trois ans d'opération Sangaris.

- Regain de violences -

Le 9 juin 2017, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, se déclare "préoccupé par l'instabilité généralisée", après des affrontements qui ont fait une centaine de morts en mai à Bangassou, Alindao et Bria, dans le centre du pays. Six Casques bleus sont tués mi-mai à Bangassou et sa région.

"Les affrontements prennent de plus en plus une connotation religieuse et ethnique, s'alarme de son côté le Bureau de coordination des Affaires humanitaires de l'ONU (Ocha).

Plus de la moitié des Centrafricains, soit 2,2 millions de personnes, ont besoin d'aide ou sont dans une situation d'insécurité alimentaire, selon le représentant spécial de l'ONU.

Par  AFP