Centrafrique : quand un chef rebelle exige l’amnistie sans mentionner le mot

Centrafrique : quand un chef rebelle exige l’amnistie sans mentionner le mot©AFP/ SIA KAMBOU
Un rebelle séléka avec un mortier de procureur. Photo d'archives 2013
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Ex-numéro 2 de la coalition rebelle de la Séléka, qui a chassé du pouvoir le président François Bozizé en mars 2013, Nourredine Adam est sous le coup  de sanctions internationales  pour son rôle présumé dans des crimes perpétrés en Centrafrique. Aujourd’hui à la tête du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC), l’un des principaux mouvements nés de l’éclatement de l’ex-Séléka, il est retranché dans le nord-est du pays. C’est là que Radio Ndeke Luka a réussi à le joindre la semaine dernière pour une interview au téléphone. Depuis ses nouvelles terres, le chef de guerre réclame « un dialogue national et un accord politique » donnant satisfaction à « tout le monde ». Autrement dit, une porte par laquelle il pourrait retourner à Bangui, la tête haute, absous des crimes portés contre lui.

« Je me trouve à Birao. La situation est critique : il y a beaucoup de maladies, l’état des routes est mauvais, les gens ne peuvent pas se déplacer, ne peuvent pas bouger. C’est terrible, incroyable ». C’est en ces termes que Nourredine Adam décrit, dans une interview exclusive avec Radio Ndeke Luka, son lieu de retranchement dans le nord-est de la Centrafrique. Eludant les questions et usant à l’extrême de la langue de bois, le chef de l’ex-Séléka, qui n’avait pas fait de déclaration à la presse depuis deux ans, semble avoir pris son temps pour se préparer à cet exercice.

Alors que plusieurs organisations accusent son nouveau mouvement d’être à l’origine de récentes violences meurtrières dans certaines villes, il affirme que dans les zones sous leur contrôle, les combattants du FPRC vivent en harmonie avec les populations locales. Et demande au journaliste de lui donner « un seul exemple » contredisant ses dires.

Quelle importance accorde-t-il à l’accord de paix signé le 19 juin dernier à Rome sous l’égide de la communauté Sant’Egidio ? « Je n’ai pas vu l’importance en tant que telle », lâche-t-il avant de nuancer : « Mais nous voulons montrer à l’opinion nationale et internationale que nous avons la volonté de voir la RCA en paix. La paix n’a pas de prix ». Accusant le gouvernement et certains mouvements d’avoir dénoncé l’accord, il interpelle le journaliste . « A vous d’analyser et de voir qui veut la paix, qui ne veut pas (…) Jusqu’à preuve du contraire, nous, nous sommes là, en train de garder le silence ».

Serait-il inquiété par un possible mandat d'arrêt international qui le viserait ainsi qu’Abdoulaye Hissène, un autre chef du FPRC ? « Je ne crois pas que moi et le ministre Abdoulaye Hissène sommes visés par un mandat d’arrêt international. Et pourquoi ? Par qui ? », répond-il, feignant d’en tomber des nues. « Aujourd’hui, si le ministre Abdoulaye Hissène se bat, c’est pour le peuple centrafricain, pour la justice sociale. Et moi-même, c’est pareil. Mais si cela est un crime, je suis prêt à aller me défendre, ça, c’est clair ».

La paix ou la justice ?

Nourredine Adam ajoute que son mouvement a soumis ses revendications au gouvernement et à la mission de l’Onu en Centrafrique. « Premièrement, il faut un dialogue national républicain, deuxièmement, il faut un accord politique clair », explique-t-il, en soulignant que le problème centrafricain dure depuis des années. « C’est un problème en profondeur, il faut le traiter comme tel, satisfaire tout le monde ». Pour lui, ce n’est qu’à cette condition que les armes pourront se taire et qu’un vrai processus de désarmement et de démobilisation des combattants pourra commencer.

Ces exigences de Nourredine Adam rappellent la demande faite en novembre dernier par l’ex-président François Bozizé, actuellement en exil en Ouganda. Les deux ennemis viscéraux d’hier émettent donc aujourd’hui sur la même longueur d’ondes ! Du moins sur un point ! Nourredine Adam et François Bozizé, ainsi d’ailleurs que l’autre ex-président Michel Djotodia, recherchent tous en effet une porte par laquelle ils pourraient rentrer officiellement à Bangui : un dialogue inter-centrafricain inclusif. Ce qu’ils ne disent pas ouvertement, c’est qu’ils espèrent, par ce retour, s’assurer une certaine impunité pour les crimes qui leur sont ou qui pourraient leur être reprochés. En clair, une demande d’amnistie soutenue par certains gouvernements africains alors que la Cour pénale spéciale créée au sein de la justice centrafricaine pour connaître des plus graves violations des droits de l’homme depuis 2003 est en train de se mettre en place.

La paix ou la justice ? « Justice d’abord », répond bien-sur l’écrasante majorité des Centrafricains qui savent, plus que quiconque, que les maux actuels de leur pays sont la conséquence de longues d’années d’impunité. Entre cette légitime soif de justice et les pressions de pays voisins entretenant, pour certains, des liens solides avec les seigneurs de guerre qui contrôlent la plus grande partie du territoire centrafricain, le gouvernement du président Faustin-Archange Touadéra paraît encore hésiter.

Mais pour que l’accord de Sant’Egidio soit mis en œuvre, « là où d’autres ont échoué, la responsabilité pénale pour les nombreux crimes internationaux graves endurés par les civils est cruciale », avait insisté le 20 juin, Lewis Mudge, chercheur à la division Afrique de Human Rights Watch (HRW).