Centrafrique : « Jamais le danger d'une explosion nationale n'a été aussi grand »

Centrafrique : « Jamais le danger d'une explosion nationale n'a été aussi grand »©Photo Phill Magakoe/AFP
Le président centrafricain Faustin-Archange Touadera lors d'une conférence de presse le 5 avril 2017 à Pretoria, en Afrique du Sud
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Juriste et ex conseiller à l’ambassade de France en Centrafrique, Didier Niewiadowski décrypte, dans un entretien avec JusticeInfo, la situation actuelle en Centrafrique où plusieurs dizaines de personnes ont été tuées lors de récents combats entre groupes armés. L’ancien diplomate français s’accorde avec les Nations unies que « le danger d’une explosion nationale n’a jamais été aussi grand »  dans ce pays. Il ne voit cependant pas, à ce stade, de signes précurseurs d’un génocide.

Partagez-vous le constat du secrétaire général adjoint de l'ONU pour les Affaires humanitaires, Stephen O'Brien, qui fait état de signes avant-coureurs d’un génocide en Centrafrique ?

La notion de génocide est précise. Ya-t-il actuellement une planification de l'élimination physique systématique, quelque soit l'âge où le sexe, d'un groupe ethnique ou religieux ? La réponse est non. En revanche, on peut effectivement s’inquiéter de la multiplication des massacres de population, dans l'extrême-est et le nord-ouest du pays, qui présentent souvent un caractère inter communautaire. Ces crimes restent actuellement localisés et ne sont pas, à ce stade, sous-tendus par une stratégie d'épuration". Néanmoins, jamais le danger d'une explosion nationale n'a été aussi grand, comme l'affirment les responsables onusiens.

Et comment expliquer, aujourd’hui, ce danger d’une explosion nationale ?

Deux constats inquiétants peuvent expliquer les risques de chaos qui menacent aujourd'hui la Centrafrique.

D'un côté, l’irrésolution du président Faustin Archange Touadera a permis le retour dans son entourage de personnages ayant sévi lorsqu'il était Premier ministre de François Bozizé (2008-2013). Ces boutefeux attisent les conflits locaux en soutenant les anti-balaka* et en mettant en cause l'action de la Minusca (Mission de l’ONU en Centrafrique). Ils sont à l’origine de la crise politique qui vient de s'ajouter à la crise sécuritaire et humanitaire. La désunion nationale est désormais profonde. La principale cible de la présidence, et surtout de son Premier ministre, est Karim Meckassoua, le président de l'Assemblée nationale. A travers lui, ce sont les musulmans qui sont visés.

De l'autre côté, en l'absence d’un Etat, les groupes armés que l'on regroupe hâtivement sous l'ex Séléka*, se sont considérablement renforcés en hommes et en armes. Ils s'installent durablement dans leurs fiefs et imposent leur diktat à des populations quasiment prises en otages.

Concrètement, que devrait faire le président Touadera pour contribuer à enrayer cette situation ?

Mettre fin à la cacophonie de l'exécutif et faire cesser les attaques contre les principaux opposants, notamment contre le président de l'Assemblée nationale. 

Le président Touadera doit revoir sa gouvernance en clarifiant les circuits de décision. On ne sait plus qui fait quoi pour qui et dans quel but. Est - ce le ministre en charge du secteur d'activités? Est- ce le conseiller ministre du cabinet présidentiel ? Est-ce le responsable de la commission ad hoc ou un chargé de mission muni d'un agrément présidentiel ?  Faut-il poursuivre les négociations avec les émissaires des seigneurs de la guerre, en vue d'un hypothétique DDRR (ndlr : processus de Désarmement, Démobilisation, Réintégration et Rapatriement des combattants), ou faut-il donner des instructions fermes pour leur arrestation par la Minusca ?

Le président Touadera doit instamment renoncer aux projets dangereux des boutefeux qui sont revenus aux portes du pouvoir. Organiser des manifestations hostiles aux opposants, faire des déclarations haineuses ou voir des coups d'Etat partout alors qu'il s'agit d'une motion de censure sont des pratiques incompatibles avec la réconciliation nationale qui était au centre du programme du candidat Touadera.

Face à la situation actuelle, Stephen O’Brien demande à l’ONU d’augmenter le nombre des Casques bleus. Pensez-vous que cela suffise pour éviter le pire?

L'augmentation des effectifs de la Minusca ne semble pas être la seule solution appropriée pour retrouver le chemin de la paix. On peut mettre des milliers de  Casques bleus supplémentaires sur ce territoire, représentant la France et la Belgique pour un peu plus de 4 millions d'habitants dont plus du quart n'ont plus de domicile fixe, sans que la pacification soit effective.

Trois conditions préalables doivent aussi être satisfaites. D’abord, il faut une réelle volonté politique centrafricaine de sortir de cette crise. Un leadership centrafricain est indispensable pour conduire une véritable union nationale. Ce n'est pas le cas actuellement. Continuer de donner un blanc-seing au président Touadera et à son Premier ministre anéantira  tous les nouveaux efforts de la communauté internationale et risque de conduire à une implosion du pays.

Ensuite, les missions des opérations de la paix de l'Onu en Afrique centrale doivent se coordonner : la crise est aussi régionale. La Minuss (Mission de l’ONU au Soudan du Sud), la Monusco (Mission de l’ONU en RDC) et la Minusca doivent mutualiser certains de leurs moyens et  coordonner leurs actions. Raisonner à l'échelon étatique est une erreur.

Enfin, il faut impérativement mettre fin à l'impunité qui est le moteur de la crise. Le temps des discours et des professions de foi devrait enfin cesser.

Le moment n'est-il pas venu alors de désarmer par la force les milices et arrêter les principaux suspects des violations des droits de l'homme ?

Il faut se rendre à l'évidence. Les fonctions régaliennes d'un Etat ont totalement disparu. Dans ces conditions, il est difficile aux centaines de policiers de la Minusca d'accomplir leur mission. Il est donc essentiel de reconstruire, sans délais, un système judiciaire  conformément aux principes de l'Etat de droit et sur les fondements de la justice transitionnelle. La Cour Pénale Spéciale** ne sera opérationnelle qu'à l'automne, dans le meilleur des cas, et elle ne sera pas compétente pour les crimes commis après 2015.  Dans de nombreux cas, les faits sont bien établis et les témoignages sont disponibles. Comme viennent de le déclarer les ambassadeurs de France et des Etats-Unis d'Amérique, la justice doit reprendre son cours et les citoyens ne doivent pas en être écartés. Cela devrait être une condition de l'aide internationale car les autorités actuelles se complaisent dans la gesticulation et la diversion avec les "classiques tentatives de coups d'Etat"...

Avant l'arrestation des principaux criminels, il est aussi indispensable de mettre fin au commerce bien connu des diamants de sang, notamment à Anvers et à Dubai, ainsi que des trafics d'armes en provenance de RDC et de Douala (au Cameroun).

Enfin, la question des centres pénitentiaires restera posée. Pour tout cela, il n'y a plus de temps à perdre.

Qu’est-ce que la Centrafrique peut-elle attendre des pays africains, à commencer par ses voisins ?

Les pays voisins sont soit en crise ouverte (Soudan du Sud et RDC) soit en crise politico-économique (Tchad et Congo). Face au terrorisme dans l'Extrême-Nord, à la question des anglophones et des dégâts collatéraux de la crise centrafricaine, le Cameroun attend avec anxiété les prochaines échéances électorales. La Centrafrique ne peut guère compter que sur la Guinée Équatoriale pour le soutien financier et surtout sur le Rwanda pour le soutien politique. Rappelons qu' au 1er janvier 2018, la Guinée Équatoriale sera membre du Conseil de sécurité de l'Onu et que le président rwandais Paul Kagame sera le président de l'Union africaine. 

 

  *La Séléka est une nébuleuse coalition qui a chassé du pouvoir le président François Bozizé en mars 2013. Impliqués dans de nombreuses exactions contre la population, les rebelles de la Séléka ont dû faire face aux milices d’auto-défense antibalaka, qui, à leur tour, se sont livrées à des violences contre des civils.

 **Créée au sein de la justice centrafricaine par la loi n°15.003 du 3 juin 2015, la Cour pénale spéciale (CPS) a pour mandat de mener des enquêtes et des poursuites concernant les violations graves des droits humains et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la République Centrafricaine depuis le 1er janvier 2003. Elle sera composée de magistrats nationaux et internationaux.