Le magistrat Pierre Truche, "voix du procès Barbie", loué pour son éthique judiciaire

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Rarement un magistrat aura inspiré chez ses pairs un respect aussi incontesté que Pierre Truche: l'ancien avocat général du procès de Klaus Barbie, mort samedi dans la nuit à 90 ans, est unanimement salué pour son humanité et son éthique.

De substitut du procureur de la République à Arras à procureur général de la Cour de cassation, ce Lyonnais a gravi pendant 40 ans tous les échelons du parquet. Il n'occupera que trois ans le siège du juge, mais le plus prestigieux, celui de premier président de la Cour de cassation, de 1996 à 1999.

Le Sphinx, comme il était surnommé pour sa sagesse et sa crinière blanche rejetée en arrière, n'a jamais quitté les palais de Justice pour les ministères, grands accélérateurs de carrière. "Sa carrière prestigieuse lui a été offerte sans qu'il la sollicite véritablement", disait le juriste Antoine Garapon.

Sa légitimité, il l'avait assise définitivement en 1987 au procès de Klaus Barbie, l'ancien chef de la Gestapo lyonnaise, jugé pour la déportation de centaines de juifs.

"Je vous demande qu'à vie Barbie soit reclus", lance-t-il au terme de son réquisitoire, filmé comme tout le procès, pour la postérité. Sobre et ferme, à son image, la phrase est devenue historique dans le monde judiciaire.

Mais pour lui l'enjeu du procès allait plus loin: "poursuivre la réflexion sur l'inacceptable et réveiller des consciences endormies ou persuadées que le retour de telles abominations est impossible", avait-il déclaré à l'audience.

La ministre de la Justice Nicole Belloubet, saluant une "figure immense de la magistrature", a souligné samedi "sa contribution décisive à la définition du crime contre l'humanité" et à son imprescriptibilité.

"Il fallait son humanité pour expliquer le crime contre l'humanité. Pierre Truche, le procureur qui savait parler aux jurés nous a quittés. Il est et restera la voix du procès Barbie", lui a rendu hommage samedi Alain Jakubowicz, qui fut avocat des parties civiles.

"C'était un très grand pédagogue", "quelqu'un d'une rectitude absolue et un homme extrêmement discret", se souvient son substitut de l'époque, Jean-Olivier Viout.

- "Métier dangereux" -

Repoussant sa retraite, Pierre Truche était devenu en 1999 président de la "commission nationale consultative des droits de l'Homme", puis en 2000, président de la "commission nationale de déontologie de la sécurité". Jusqu'en 2002, il apportera son expertise au sein de la commission de réflexion sur le statut pénal du président de la République.

Il évoquait en 1999 dans le Figaro les grandes affaires où il s'est illustré: outre Barbie, il y eut le scandale des fausses factures de Lyon ou l'incendie du dancing le Cinq-Sept à Grenoble (146 morts). Des dossiers portés par la jeune section lyonnaise du syndicat de la magistrature, dont ce catholique convaincu, engagé à gauche, fut l'un des pionniers.

"Mais les (affaires) plus délicates que j'aie eues à connaître sont celles de garde d'enfants, de couples déchirés. Le métier de magistrat est difficile : il faut essayer de ne jamais avoir trop de certitudes, sauf sur les grands principes", disait celui dont le nom a été donné à la salle de réunion du parquet de Paris dans le nouveau tribunal des Batignolles.

Ancien directeur de l'école de la magistrature (ENM) à la fin des années 70, l'homme à la grande stature et au regard clair acéré, est resté un modèle pour de nombreux magistrats.

Parmi eux, le procureur général François Molins a rendu hommage samedi à ce "magistrat d'exception", au "très haut niveau d'éthique", "qui plaçait le service de la Justice au-dessus de tout" et incarnait "un pur produit de l'âme du ministère public".

En 1978, il mettait toutefois en garde ses élèves de l'ENM: "Vous allez exercer un métier dangereux. Dangereux pour les autres. Ne l'oubliez jamais."