France-Algérie: il faut "sortir de l'argumentation politique" (historien)

2 min 57Temps de lecture approximatif

Bien que critiqué par certaines voix en Algérie, le rapport de l'historien français Benjamin Stora pourrait ouvrir le débat "en dehors de l'argumentation politique", affirme son collègue algérien Fouad Soufi, dans un entretien avec l'AFP.

Ce spécialiste de l'histoire contemporaine de l'Algérie, expert des archives, reconnaît la complexité de la tâche confiée à M. Stora par le président français Emmanuel Macron en juillet dernier, face aux "courants "nostalgériques" et à ceux "foncièrement anti-France en Algérie".

"Il a essayé de passer entre ces deux positions extrémistes pour faire appel au bon sens et tisser entre les deux pays, des passerelles dans la sérénité", estime M. Soufi, 72 ans, jeune garçon pendant la guerre d'indépendance (1954-1962).

A ce stade, "son apport le plus important est d'ouvrir le débat en Algérie", applaudit le chercheur au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) à Oran.

Il relève d'ailleurs que Benjamin Stora n'a formulé que des "préconisations" à l'attention du chef d'Etat français, dont la création d'une commission "Mémoire et Vérité".

Si M. Macron a promis de prendre des "actes symboliques" pour tenter de réconcilier les deux rives de la Méditerranée, il a exclu de présenter des "excuses" pour la colonisation, ce qui lui a valu des critiques de certains médias et dans la rue algérienne.

Le rapport Stora n'a toutefois pas encore suscité de réaction à Alger, en l'absence du président Abdelmadjid Tebboune, opéré du pied cette semaine en Allemagne pour des "complications" post-Covid.

"On va enfin discuter de ce qu'il faut demander à la France, de quelle attitude va être celle de l'Algérie, en dehors de ceux qui préconisent la cassure totale", se félicite Fouad Soufi.

- "Instrumentalisation de l'Histoire" -

Le dialogue mémoriel présuppose qu'on "discute en dehors de l'argumentation politique", insiste M. Soufi, qui déplore une "instrumentalisation de l'histoire" dans le récit national algérien.

"Vision a-critique, divisions internes et déséquilibre des productions (historiques)" --avec des écrits bien moins nombreux qu'en France--, sont autant de faiblesses rendant ce travail de mémoire délicat du côté algérien.

"En Algérie, on veut nous imposer une vision du passé", regrette le chercheur, tout en espérant que le rapport Stora puisse marquer un nouveau cap dans la quête de réconciliation.

En outre, à ses yeux, l'émergence de nouvelles générations qui n'ont pas connu la période coloniale favorisera ce travail d'apaisement.

L'universitaire d'Oran regrette la cristallisation, notamment dans les médias, autour des deux dossiers ultra-sensibles de la demande de repentance française et des harkis, ces supplétifs qui ont combattu pour la France, considérés comme des traîtres par beaucoup d'Algériens.

S'il estime que des excuses ne sont "pas essentielles" à la "réconciliation des mémoires", il relativise la place donnée dans le rapport Stora à la question des harkis, désormais peu nombreux.

Alors que l'historien français préconise de faciliter leurs déplacements et ceux de leurs enfants, M. Soufi assure que "les enfants de harkis n'ont jamais été interdits du territoire algérien".

- "Nos racines" -

Les mesures symboliques voulues par Emmanuel Macron, comme la restitution en juillet de 24 crânes de résistants anticoloniaux du XIXe siècle sont "des gestes simples et donc faisables".

Elles visent notamment à "inscrire l'histoire d'Algérie en France", avec par exemple la proposition de Benjamin Stora d'installer une stèle en hommage à l'émir Abdelkader à Amboise (centre de la France), où le héros national algérien a été détenu avec plusieurs membres de sa famille en 1848.

Le contentieux principal, estime M. Soufi, reste celui des archives, pomme de discorde entre Alger et Paris, notamment en ce qui concerne la domiciliation des documents originaux.

"Dans les relations d'Etat à Etat, les archives sont un point nodal. Un État sans ses archives n'est pas un État", juge cet ancien archiviste.

Alors qu'Alger demande la restitution de "la totalité" des archives se rapportant à l'histoire nationale, Paris s'en tient à un "accès facilité" pour les chercheurs des deux pays.

Et si le rapport Stora propose que "certaines archives (originaux) soient récupérées par l'Algérie", il ne mentionne pas lesquelles, ne faisant référence ni à celles de la Régence d'Alger, sous l'Empire ottoman, ni à celles de l'Armée de libération nationale (ALN) pendant le conflit.

"Les archives nous rattachent au plus profond de nos racines et tout ça, ce sont les Français qui nous l'ont appris", plaide Fouad Soufi.