Allemagne: arrestation d'un Gambien pour le meurtre d'un correspondant AFP

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La justice allemande a annoncé mercredi le placement en détention d'un Gambien soupçonné d'avoir notamment participé à plusieurs assassinats dans son pays, dont celui du correspondant de l'AFP, une arrestation saluée par le fils de la victime, l'AFP et Reporters sans frontières.

Présenté par les médias allemands comme Bai Lowe mais seulement identifié comme Bai L. par la justice allemande, il est soupçonné d'être impliqué dans l'assassinat par balles le 16 décembre 2004 du journaliste gambien Deyda Hydara, correspondant de l'AFP, selon des sources concordantes.

L'homme, interpellé à Hanovre, dans le Nord-Ouest du pays, est dans le viseur des autorités judiciaires pour des crimes contre l'humanité commis dans son pays entre fin 2003 et fin 2006, a indiqué le Parquet fédéral allemand.

Il était durant cette période le chauffeur d'une unité des forces armées chargée d'assassiner des critiques du régime de Yahya Jammeh, alors au pouvoir à Banjul, d'après la même source.

Le fils du journaliste assassiné, Baba Hydara, qui se bat depuis longtemps pour l'arrestation des meurtriers de son père, s'est dit "soulagé" après cette arrestation.

"Je sais que les autorités allemandes mettront à jour la vérité", a-t-il dit à l'AFP. "J'espère que tous ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité en Gambie seront un jour traduits devant un tribunal pour ce qu'ils ont fait. J'y crois dans le cas présent", a-t-il dit.

"L'AFP se félicite de toute avancée dans l'enquête sur l'assassinat de Deyda Hydara qui a été son correspondant en Gambie pendant 30 ans", a déclaré de son côté Phil Chetwynd, directeur de l'Information de l'Agence France-Presse (AFP).

"Nous continuons à réclamer que justice soit faite contre les assassins de notre collègue qui a payé de sa vie son combat pour la liberté de la presse", a-t-il ajouté.

- Doyen des journalistes -

Agé de 58 ans, père de quatre enfants, cofondateur du journal privé The Point, Deyda Hydara était aussi le correspondant en Gambie de l'ONG Reporters sans frontières (RSF). Il était considéré comme le doyen des journalistes de ce petit pays anglophone d'Afrique de l'Ouest.

Cette interpellation est "un signal encourageant dans la lutte mondiale contre l'impunité", a souligné le responsable de l'antenne allemande de RSF, Christian Mihr.

En juillet 2019, devant la Commission gambienne "vérité, réconciliation et réparations" (TRRC), trois anciens membres des "Junglers" ("broussards"), considérés comme les escadrons de la mort de Yahya Jammeh, avaient reconnu avoir assassiné Deyda Hydara, plus de 50 migrants ouest-africains échoués sur une plage, ainsi que d'anciens compagnons de route de M. Jammeh, soupçonnés de vouloir le renverser.

Peu après, le ministre gambien de la Justice avait décidé de libérer ces trois hommes, Malick Jatta, Omar Jallow et Amadou Badjie, arrêtés début 2017, après le départ de Yahya Jammeh.

- Compétence universelle -

Selon des investigations menées par RSF, Deyda Hydara avait été espionné par les services de renseignements gambiens juste avant sa mort.

Dans son journal The Point, il tenait notamment une rubrique très lue, "Good morning Mr President" dans laquelle il s'exprimait sur la politique gambienne.

La justice allemande applique ici le principe de la "compétence universelle" qui permet de juger en Allemagne certains crimes quel que soit l'endroit dans le monde où ils ont été commis.

Le parquet n'a fourni aucune indication sur les circonstances de l'arrivée de cet homme en Allemagne.

Bai Lowe est soupçonné d'avoir participé à trois "opérations de liquidation": en décembre 2003 contre un avocat qui avait survécu à ses blessures, en 2004 contre le journaliste et en 2006 contre un opposant présumé. Dans les trois cas, il servait de chauffeur aux tueurs, souligne l'autorité judiciaire.

Arrivé au pouvoir par un putsch en juillet 1994, Yahya Jammeh s'était fait élire en 1996 puis réélire sans interruption jusqu'à sa défaite en décembre 2016 face à l'opposant Adama Barrow.

Les défenseurs des droits de l'Homme ont accusé son régime de tortures systématiques, d'exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires, de disparitions forcées et de viols.

Après avoir initialement refusé de reconnaître sa défaite électorale, M. Jammeh avait finalement été contraint, sous pression de ses voisins, de quitter le pays pour la Guinée équatoriale le 21 janvier 2017.