Gambie: 16 décembre 2004, le correspondant de l'AFP tombe sous les balles

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Deyda Hydara, le correspondant de l'AFP en Gambie depuis 30 ans, est tombé sous les balles de tueurs à Banjul en décembre 2004. L'arrestation mardi en Allemagne d'un Gambien soupçonné d'avoir servi de chauffeur à ses assassins permettra peut-être de connaître la vérité sur son assassinat.

Agé d'une soixantaine d'années et père de quatre enfants, cofondateur du journal privé The Point, Deyda Hydara travaillait pour l'AFP depuis 1974, d'abord comme traducteur, puis comme journaliste. Considéré comme le doyen des journalistes de ce petit pays anglophone d'Afrique de l'Ouest, il était également le représentant à Banjul de Reporters sans frontières (RSF).

Souvent critique du pouvoir, de la corruption des élites et des atteintes à la liberté de la presse, il a été tué vers minuit le 16 décembre 2004 alors qu'il raccompagnait deux collaboratrices de son journal à leur domicile.

Le lendemain, le chef de la police, Landing Badjié, affirmait n'exclure "aucune piste", évoquant l'oeuvre d'un mercenaire ou d'un tireur d'élite.

Le chef de la police ajoutait que le président Yahya Jammeh, arrivé au pouvoir lors d'un coup d'Etat 10 ans plus tôt, avait promis de mettre à la disposition du ministre de l'Intérieur "tout ce dont il a besoin" pour mener l'enquête à son terme.

"Il a été abattu de plusieurs balles dans la tête", avait-il précisé, citant un policier témoin de la scène selon lequel le tireur se trouvait à bord d'un taxi Mercedes qui est passé à côté du véhicule de M. Hydara avant de prendre la fuite. Ses deux collègues avaient été blessées.

- "Oui Votre excellence" -

La NIA (National Intelligency Agency, services secrets gambiens) avait publié en 2006 un rapport d'enquête n'apportant aucun éclaircissement sur les circonstances de l'assassinat. En janvier 2007, le président Yahya Jammeh avait mis l'assassinat de Deyda Hydara sur le compte des "ennemis de la Gambie".

Pendant des années, proches du journaliste et associations de défense des droits humains et de la liberté de la presse ont déploré l'absence d'enquête sérieuse.

Il a fallu attendre le départ en exil du président Yahya Jammeh, en janvier 2017, pour qu'interviennent les premières inculpations, puis le lancement d'une commission "Vérité, Réconciliation et Réparations" (TRRC) pour qu'émergent des détails sur les crimes de son régime, dont l'assassinat de Deyda Hydara.

"Nous avons tiré, moi, Alieu Jeng et Sanna Manjang", a affirmé en juillet 2019 devant la commission le lieutenant Malick Jatta. Comme les deux hommes qu'il a cités, il faisait partie des "Junglers" ("broussards"), les escadrons de la mort de Yahya Jammeh.

Le commandant du groupe, le capitaine Tumbul Tamba, leur avait remis une "enveloppe contenant des dollars" le lendemain de l'opération. "Il nous a dit qu'il s'agissait d'un +geste d'appréciation de la part du grand homme+", à savoir le "président", avait témoigné Malick Jatta.

Le capitaine Tamba "a parlé au président pendant l'opération", il lui disait "Oui Monsieur, votre Excellence", avait-il ajouté. Selon son récit, leur chef leur avait expliqué qu'ils étaient à la poursuite du "stylo magique" et, une fois à hauteur de son véhicule, il leur a ordonné de tirer sur le chauffeur.

- Remis en liberté -

Trois semaines après son témoignage, Malick Jatta et deux autres anciens militaires ayant également reconnu avoir participé à l'assassinat de Deyda Hydara, Omar Jallow et Amadou Badjie, avaient été remis en liberté. Afin, selon les autorités, d'encourager d'autres auteurs de violations des droits humains à venir témoigner.

Cette remise en liberté avait été dénoncée par la famille du journaliste, qui réclame un procès.

Le Gambien interpellé en début de semaine à Hanovre, dans le Nord-Ouest de l'Allemagne, est soupçonné d'avoir servi de chauffeur aux tueurs.

"Je souhaite que les meurtriers de mon père et tous les Junglers soit jugés à l'étranger, parce que je ne fais pas confiance à la justice gambienne", a réagi mercredi l'un des fils du journaliste, Baba Hydara.