Au Mali, la commission vérité ouvre le débat sur les réparations

La Commission vérité, justice et réconciliation du Mali (CVJR), initialement créée en janvier 2014 pour une durée de trois ans, a démarré ses travaux avec des années de retard et les poursuit au-delà du temps imparti pour son mandat. Son rapport final n’est pas attendu avant fin 2019 mais elle ouvre, dès à présent, un débat national sur une politique de réparation, et requiert l’implication de l’État malien.

Au Mali, la commission vérité ouvre le débat sur les réparations©DR
Le président de la Commission vérité justice et réconciliation (CVJR) du Mali, propose une politique de réparation qu'il souhaite voir soutenue par l'Etat, lors d'un point de presse le 12 juin 2019.
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La commission vérité malienne a levé un coin de voile sur ses recommandations en matière de réparations, le 12 juin dernier, lors d’un séminaire d’échange avec la société civile et des victimes organisé à l’École de maintien de la paix de Bamako, la capitale du Mali. La politique qu’elle propose, dont seules les grandes lignes ont été rendues publiques, pourrait après consultation des ministères concernés déboucher sur un avant-projet de loi d’ici un à deux mois. La balle est dans le camp de l’État, a clairement signifié le président de la Commission vérité, justice et réconciliation du Mali (CVJR), Ousmane Oumarou Sidibé, lors d’un point de presse organisé à l’issue de ce séminaire. « Ce sera au gouvernement du Mali de proposer une loi à l’Assemblée nationale, qui pourra être modifiée à tout moment avec les contributions des uns et autres », précise Hamadoun Bocar Kanfo, chargé de presse à la CVJR.

La politique que propose la CVJR repose sur plusieurs consultations effectuées auprès de victimes, détaille Antoine Stomboli, conseiller juridique Avocats sans frontières Canada auprès de la Commission. Ces consultations comprennent une étude sur les attentes et perceptions réalisée auprès de 3.755 personnes affectées par le conflit, conduite avec sept organisations de la société civile malienne, réalisée par ASF Canada ; et un travail d’identification mené par la CVJR au niveau de ses antennes régionales dans les régions de Ménaka, Taoudéni, Kidal, Mopti, Gao, Tombouktou et Bamako – auprès de 200 personnes – ainsi qu’auprès de femmes et d’enfants (100 personnes) sur leurs besoins en matière de réparations. La CVJR à travers cette démarche, souhaite élaborer une politique de réparation « consensuelle » en concertation avec les victimes, la société civile et le gouvernement. Avant ce point de presse, la CVJR a organisé, les 22 et 23 mai, en présence des victimes, une première rencontre de restitution de son draft de politique de réparation.

Trop de victimes pour des réparations judiciaires

La CVJR propose qu’après la fin de son mandat une structure dédiée soit créée, qui serait dénommée, suggère-t-elle, la « Commission d’administration des réparations pour les victimes (CARV) ». Un modèle décrit comme « holistique » par Antoine Stomboli : « Cette politique de réparation prévoit de multiples formes de réparations en plus de l’indemnisation, allant des soins médicaux et psychologiques aux réparations symboliques. Des mesures qui sont complémentaires : par exemple une victime de violences sexuelles pourra recevoir des soins psychologiques en plus d’une indemnisation monétaire ainsi que d’autres mesures symboliques, comme des excuses de la part de l’État. » « Le nombre très élevé de victimes de violations graves des droits de l’homme au Mali nécessite une réponse qui tienne compte de ce contexte, motive-t-il. Les institutions judiciaires ne peuvent pas, aujourd’hui, répondre à toutes ces demandes et tous n’ont pas les moyens d’accéder à la justice. La CVJR propose donc une politique de réparation par la voie administrative ».

Interrogée par Justiceinfo.net, Haïdara Aminai Maïga, victime de la rébellion de 1990 et présidente de la Coordination nationale des associations de victimes, n’est pas de cet avis. Elle fulmine : « Les victimes du Mali préfèrent la réparation par voie judiciaire car à travers cette réparation il y aura une justice, une vérité et ensuite une réparation qui nous permettra de nous réhabiliter, de nous réinsérer individuellement après avoir tout perdu. La réparation administrative, c’est faire des réparations collectives en construisant des écoles, routes, maternités, à quoi cela peut être utile à une victime qui a tout perdu lors d’une crise ? »

Selon le modèle proposé, la CVJR soumettra à l’issue de son mandat une liste de victimes auditionnées, assortie de recommandations en matière de réparation, tout en laissant ouverte la possibilité aux victimes qui n’auraient pas été entendues de saisir la CARV. Le budget de cette commission d’administration des réparations serait supporté par l’État. La mise en œuvre des réparations dépendra de la volonté du gouvernement. Selon Drissa Traoré, chargé de programme du projet conjoint de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH) et de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), il serait dans ce cas primordial d’envisager des mesures urgentes pour la prise en charge de certaines victimes qui ont des besoins urgents.

Audiences publiques reportées

La CVJR continue d’accuser les retards, annonçant un nouveau report des premières audiences publiques après les récentes attaques meurtrières au centre du Mali. Celles-ci pourraient ne pas se tenir avec le mois de septembre ou d’octobre, indique une source proche de la CVJR. « En parallèle, il s’agit de préparer les victimes qui viendront témoigner à ce moment délicat. La CVJR va donc mettre en place une stratégie d’accompagnement psychologique auprès des victimes qui seront sélectionnées pour venir témoigner », commente Antoine Stomboli.

Le bilan de la Commission vérité malienne – qui a recueilli malgré plusieurs années d’inaction les dépositions de plus de 13.000 victimes, dont plus de 500 dans le camp de Mbera en Mauritanie – reste contrasté. Celle-ci semble néanmoins bénéficier aujourd’hui du soutien du chef de l’État malien. « La CVJR abat un travail remarquable », a salué Ibrahim Boubacar Keïta, le 20 juin dernier, à l’occasion du quatrième anniversaire de la signature de l’accord de paix et de réconciliation issu du processus d’Alger.