15.12.14 - TPIR/BILAN - LES PRINCIPALES ZONES D’OMBRE ? L’ÉCHÉANCE DU MANDAT DU TPIR

 Lausanne, 15 décembre 2014 (FH) - Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui doit théoriquement fermer ses portes le 31 décembre, a célébré ses 20 ans d'existence le 08 novembre. Si la contribution du tribunal à  la lutte contre l'impunité n'est plus à démontrer, des observateurs relèvent cependant des zones d'ombre au tableau : manque de poursuites pour les crimes qui auraient été commis par l'une des parties au conflit, absence de mécanisme de réparation pour les victimes, acquittés en quête de points de chute et neuf accusés encore en liberté.

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Le TPIR a été créé par la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies, avec pour mandat de rechercher et juger « les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d'États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 ».

Vingt ans après, les observateurs sont unanimes sur un point : la plupart sinon la totalité des personnes jugées par le TPIR seraient encore libres si la communauté internationale n'avait pas créé ce tribunal dont le siège se trouve à Arusha, dans le nord de la Tanzanie.

Depuis le début du premier procès en 1997, le Tribunal a condamné 60 personnes (dont sept encore en appel) et acquitté 14 autres qui étaient accusées d’avoir joué un rôle dans le génocide des Tutsis. Un témoin et un enquêteur ont par ailleurs été jugés et condamnés pour outrage à la Cour. Sur la liste de ces personnes jugées, figure l'ex-Premier ministre Jean-Kambanda et d'autres membres de son gouvernement, des généraux de l'armée, des hommes d'affaires, des personnalités ecclésiastiques et des hommes des médias.

Mais certains analystes, comme le sociologue français André Guichaoua qui a témoigné comme expert dans plusieurs affaires du TPIR, estiment que le tribunal de s'est pas acquitté de toute sa mission. « Avoir accordé la priorité à la poursuite et au jugement des auteurs du génocide était un choix justifié dans les conditions qui furent celles du TPIR à sa création, un devoir envers les victimes et les rescapés », estimait l'universitaire dans une récente interview avec Hirondelle News. « Mais que les procureurs successifs se soient tous inclinés ensuite - avec l'assentiment du Conseil de sécurité - devant le refus des militaires installés au pouvoir (à Kigali) d'assumer la totalité du mandat de l'institution en a affaibli la crédibilité, la portée des jugements émis, le dévoilement de la vérité et très certainement l'apaisement escomptés des passions et controverses entre les camps en conflit », affirmait l'universitaire. « La tâche confiée au TPIR n'est donc pas achevée», ajoutait Guichaoua en référence aux crimes qui auraient été perpétrés par des membres de l'APR, la branche armée de l'ancienne rébellion du Front patriotique rwandais (FPR) aujourd'hui au pouvoir à Kigali.

L'actuel procureur du TPIR, Hassan Bubacar Jallow réfute cette allégation. Lors d'une conférence de presse le 5 novembre au siège du tribunal, le magistrat gambien a affirmé que ses services n'avaient « jamais été empêchés d'enquêter » sur les allégations contre le FPR. Jallow a rejeté ainsi les affirmations selon lesquelles certaines puissances occidentales, dont les Etats-Unis, auraient bloqué « les enquêtes spéciales » qui avaient été ouvertes par la Suissesse Carla del Ponte, prédécesseur de Jallow. « Nous avons mené des enquêtes et nous avons conclu qu'il y avait une affaire, l'affaire concernant le meurtre des évêques » catholiques tués en juin 1994 à Kabgayi, dans le centre du Rwanda, a expliqué Jallow.

« Mandat non rempli »

Parmi les 13 ecclésiastiques - presque tous des Hutus - figuraient trois évêques. L'affaire a été confiée au Rwanda par le procureur du TPIR.

Au terme du procès, en octobre 2008, la justice militaire rwandaise a acquitté le général Wilson Gumisiriza et le major Wilson Ukwishaka et a condamné à 5 ans de prison les deux autres co-accusés, de rang inférieur.

Mais l’organisation Human Rights Watch (HRW), qui affirme avoir aidé les services de Jallow dans cette enquête, est loin de croire que justice ait été rendue. « L'affaire n'a pas été instruite de façon énergique et n'a pas recherché les preuves suggérant une opération militaire programmée ordonnée par des officiers d'un rang supérieur. Le procureur n'a pas engagé de poursuites contre des officiers plus haut-gradés qui avaient été impliqués dans l'opération militaire et contre lesquels il existe des preuves », estimait le directeur exécutif de HRW, Kenneth Roth, dans une lettre adressée à Jallow le 14 août 2009.

« Nous continuons à estimer que votre mandat de Procureur général du TPIR ne sera pas rempli tant que vous n'aurez pas poursuivi tous les officiers supérieurs responsables des atrocités commises au Rwanda en 1994 », concluait l'activiste.

Pour les rescapés du génocide, le principal grief contre le tribunal est l'absence, dans ses textes, de tout mécanisme de réparation pour les victimes. Ici, ce n'est pas le TPIR en soi qui est interpellé mais le Conseil de sécurité. «Il manque encore au TPIR cette importante composante de la réconciliation parce qu'il n'a pas de fonds pour la compensation des victimes », a affirmé le 8 novembre, Naphtal Ahishakiye, secrétaire général d'Ibuka (souviens-toi, en langue rwandaise), la principale organisation de survivants du génocide des Tutsis.

Le même appel avait été lancé le 10 avril dernier par le président d'Ibuka Jean-Pierre Dusingizemungu qui assistait à une cérémonie de commémoration au siège du TPIR. « Au moment où nous commémorons le vingtième anniversaire du génocide, la réparation se trouve au cœur du plaidoyer d'Ibuka et nous croyons le moment venu pour le gouvernement (rwandais) et la communauté internationale de doubler leurs efforts en vue de la mise en place d'un mécanisme de réparation pour les victimes », avait demandé Dusingizemungu.

Alors que le statut du TPIR ne prévoit pas de mécanisme d'indemnisation ni de participation des victimes aux procédures, les textes de la Cour pénale internationale  (CPI) accordent des droits aux victimes. Devant la CPI, les victimes peuvent, à travers leurs représentants, présenter leurs observations et interroger les témoins. Au terme du procès, elles peuvent demander des réparations pour les souffrances subies. Par ailleurs, le Statut de Rome créant la CPI a prévu le Fonds pour les victimes, une institution indépendante de la Cour. « Notre recommandation actuelle est la création d'un Fonds international au profit des victimes », avait conclu le président d'Ibuka.

Trois gros poissons en fuite

Le collectif d'associations de survivants appelle par ailleurs la communauté internationale à poursuivre la traque des neuf accusés du TPIR encore en fuite pour que « la clôture du tribunal ne signifie la fin de la justice ». Les dossiers concernant six de ces accusés en cavale ont été remis à la justice rwandaise à laquelle incombe désormais en premier la responsabilité de les localiser. Pour les trois autres, dont le richissime homme d'affaires, Félicien Kabuga souvent présenté comme l'argentier du génocide, ils seront jugés, s'ils sont arrêtés un jour, par le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI), une structure résiduelle. Dans une déclaration à la presse le 8 novembre, alors que le tribunal fêtait ses vingt ans, le Conseil de sécurité a appelé « tous les Etats à coopérer avec le TPIR, le Mécanisme résiduel international pour les tribunaux pénaux et le gouvernement du Rwanda pour arrêter et poursuivre les neuf personnes inculpées par le TPIR qui sont toujours en fuite ». Le même appel a été lancé depuis Arusha par le procureur Hassan Bubacar Jallow. « La communauté internationale, en particulier ces Etats où se trouvent les fugitifs, doit coopérer pleinement avec le MTPI pour faire en sorte que ces fugitifs soient traduits en justice devant la juridiction appropriée », a demandé Jallow sans citer aucun pays.

Le milliardaire Félicien Kabuga, accusé notamment d'avoir commandé les machettes utilisées pour tuer les Tutsis, se cacherait, selon le TPIR, au Kenya, à six heures de route du siège du tribunal. Le deuxième « gros poisson » est l'ex-ministre de la Défense, Augustin Bizimana, qui vivrait dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), selon plusieurs sources au TPIR.  Le troisième haut responsable en fuite est le major Protais Mpiranya qui commandait la garde du président Juvénal Habyarimana. Cette unité militaire d'élite a été la plus active dans les massacres. Mpiranya, longtemps membre du commandement des rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) basées en RDC, serait protégé, selon le TPIR, par de hauts responsables zimbabwéen. Certaines sources rwandaises affirment cependant que Bizimana et Mpiranya sont décédés de morte naturelle, ce que conteste le procureur Jallow.

Le TPIR reconnaît par ailleurs éprouver d'énormes difficultés à trouver des pays d'accueil pour ses acquittés et ses condamnés ayant purgé leur peine. Sur les 14 personnes acquittées à ce jour, six seulement ont pu trouver des pays d'accueil tandis que les autres sont toujours logées dans une « maison sécurisée » au siège du TPIR, de même que trois qui ont terminé leur peine. « J'appelle humblement les représentants des gouvernements ici présents à voir comment ils peuvent prendre cette responsabilité internationale d'accepter d'accueillir les personnes acquittées ou libérées par le TPIR » après avoir purgé leur peine, a demandé le vice-président tanzanien Mohammed Gharib Bilal lors de la cérémonie du 8 novembre. Selon l'accord de siège entre la Tanzanie et l'ONU, les personnes jugées définitivement par le TPIR doivent quitter le territoire tanzanien.

Le fait que des acquittés ne puissent pas partir de Tanzanie est « un échec » pour le TPIR et « un grand défi aux droits de l'Homme », a renchéri le greffier du TPIR, Bongani Majola.

AH/YL