La volonté politique de respecter le droit de la guerre existe-t-elle, s'interroge le CICR

La volonté politique de respecter le droit de la guerre existe-t-elle, s'interroge le CICR©AFP PHOTO / Najim RAHIM
Un membre de l'équipe Médecins sans Frontières dans l'hôpital MSF de Kunduz, Afghanistan le 10 novembre 2015, après le bombaredement par des forces américaines qui a tué au moins 30 personnes
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Nous publions un entretien avec Helen Durham, Directrice du Département du droit international et des politiques humanitaires au Comité International de la Croix-Rouge, une ONG basée à Genève en Suisse, gardien du droit international humanitaire et des Conventions de Genève. Ces Conventions forment le cœur du droit international humanitaire, censé protéger les populations non combattantes en temps de guerre. Non seulement les civils sont de plus en plus ciblés,y compris des camps de déplacés cette semaine en Syrie, "un crime de guerre", selon l'ONU. Des installations médicales ont été attaquées comme en Syrie, Yémen ou à Kunduz en Afghanistan. Le conseil de sécurité a adopté mardi 3 mai une résolution qui condamne fermement les attaques prenant pour cible les malades, le personnel médical et les hôpitaux en temps de conflit armé et appelle les Etats à mettre en œuvre des mesures efficaces pour prévenir et réprimer ces incidents.. « Le droit de la guerre » est-il en crise ?

JusticeInfo :  Face aux situations de crise humanitaire aujourd'hui en cours à travers le monde, diriez-vous que le droit de la guerre est lui-même en crise ? 

Helen Durham :  Non, à mon avis, l’on ne peut parler de crise ni à propos des règles du droit de la guerre, ni à propos de l’ensemble du cadre juridique existant, qui est le fruit d’efforts considérables déployés pendant plus d’un siècle. Le problème, ce sont les pressions auxquelles le droit international humanitaire est de plus en plus soumis pour de multiples raisons. La complexité croissante des conflits, la prolifération des groupes armés non étatiques, les problématiques telles que la migration sont au nombre de ces raisons ; il faut aussi tenir compte de toute une série de facteurs, dus à la complexité des conflits actuels. Mais ce n’est pas tout. Nous devons aussi nous demander s’il existe véritablement, chez les États et les groupes armés non étatiques, la volonté politique de respecter le droit de la guerre. J’estime, pour ma part, qu’il est faux de dire que c’est le cadre juridique lui-même qui constitue le problème. Je pense qu’il faudrait plutôt focaliser nos énergies sur une autre interrogation : la volonté politique de respecter le droit existe-t-elle vraiment ?

JusticeInfo :  L’ONU organise à Istanbul, à la fin de ce mois, le premier Sommet humanitaire mondial. Le respect des règles qui régissent la conduite de la guerre est l’un des thèmes inscrits à l’ordre du jour. Quel résultat attendez-vous du Sommet d’Istanbul ? 

HD : Ce prochain Sommet offre une occasion inédite de faire passer quelques messages clés. En effet, ce ne sont pas uniquement les États qui y participeront, mais également un grand nombre de parties prenantes, représentant l’ensemble de la communauté humanitaire. Nous espérons qu’il sera possible d’y rappeler et redéfinir les enjeux humanitaires essentiels : l’importance vitale de la protection et les besoins spécifiques des populations en zones de conflit. La nécessité d’un « écosystème humanitaire diversifié » pourra être soulignée. J’irai moi-même à Istanbul et je participerai à des débats sur des thèmes tels que le genre au regard du droit de la guerre, l’emploi d’armes explosives en zones peuplées et la question des armes nucléaires. Nous espérons sincèrement que le Sommet d’Istanbul ne sera pas un simple forum de discussion, et qu’au-delà des mots, des engagements seront réaffirmés. 

JusticeInfo :  Que souhaiteriez-vous en ce qui concerne les engagements ? 

HD :  Nous avons pris toute une série d’engagements en décembre dernier, lors de la Conférence internationale du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Ces engagements – que nous souhaiterions retrouver en filigrane au Sommet humanitaire mondial – portent sur des questions telles que la nécessité d’assurer la protection du personnel médical en temps de conflit, la nécessité de veiller à ce que les problèmes liés aux violences à caractère sexuel ou sexiste soient traités et, enfin, la nécessité d’œuvrer au renforcement du système de contrôle de l’application et du respect du droit existant. 

JusticeInfo :  Lors de la conférence de décembre, les États n’ont-ils pas refusé d’entériner une proposition, présentée par le CICR et le gouvernement de la Suisse, préconisant l’instauration d’un nouveau mécanisme de contrôle du respect du droit international humanitaire ?

HD :  En fait, de concert avec le gouvernement suisse, nous avons demandé à la conférence de se prononcer en faveur de deux propositions : d’une part, la tenue d’une réunion annuelle permettant aux États de débattre de questions liées à la mise en œuvre du DIH et, d’autre part, la mise en place d’un système de présentation de rapports périodiques. Les Conventions de Genève figurent en effet parmi les rares traités internationaux ne comportant pas d’obligations en matière de présentation de rapports. Un certain nombre d’États ont toutefois estimé que ce n’était pas bon moment, expliquant qu’ils n’étaient pas prêts et que, par ailleurs, le cadre juridique prévoyait peut-être déjà des mécanismes qu’ils pourraient utiliser plutôt que d’en créer de nouveaux. Finalement, la résolution de la 32e Conférence, évoque seulement la nécessité d’aller de l’avant et de poursuivre le processus, et invite la Croix-Rouge internationale et le gouvernement de la Suisse à présenter un rapport sur les résultats lors de la prochaine Conférence internationale, en 2019.
 
JusticeInfo : Si les États n’étaient pas prêts en décembre dernier à faire quoi que ce soit de concret, comment – et pourquoi – pourrait-on espérer que le Sommet humanitaire aboutisse à un résultat tangible ? 

HD :  Entre la Conférence internationale et le Sommet humanitaire mondial, il y a une grande différence. Alors que seuls les États et le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge participent à la Conférence internationale, le Sommet d’Istanbul rassemblera toute une série d’autres acteurs, dont beaucoup représenteront la société civile et d’autres groupes. Il est évident que nous devons attendre de voir ce que sera le résultat concret du Sommet humanitaire mondial. Notre espoir, cependant, est de voir au moins réaffirmés les engagements qui ont déjà été pris. Il est vital que, d’une part, le Sommet rappelle avec force aux États qu’ils sont tenus de respecter les règles et les obligations dont ils ont déjà convenu et que, d’autre part, toutes les nouvelles propositions issues du Sommet soient de nature à contribuer vraiment à réduire les souffrances en temps de conflit armé.