Burundi : un pouvoir « presque suicidaire », une presse « traumatisée »

Burundi : un pouvoir « presque suicidaire », une presse « traumatisée »©Marco Longari/AFP
Militaires burundais à Bujumbura juillet 2015.
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Antoine Kaburahe est directeur d'Iwacu (Chez nous, en langue burundaise), le dernier groupe de presse encore indépendant au Burundi. Début septembre dernier, Willy Nyamitwe, le conseiller principal en communication du président Pierre Nkurunziza, avait qualifié les journalistes du groupe Iwacu de « tricheurs » et de « filous » suite à la publication d'un article qui lui avait déplu. Deux mois plus tard, Antoine Kaburahe était convoqué au Parquet général à Bujumbura dans le cadre d'un dossier relatif au coup d'Etat manqué de mai. Dans un entretien avec JusticeInfo, le patron du groupe de presse Iwacu, aujourd'hui en Belgique, parle d'une presse indépendante burundaise « traumatisée » par un régime « presque suicidaire ».
 
JusticeInfo : Quelle est aujourd'hui la situation du Groupe Iwacu ? Dans quel état travaille l'équipe ?
 
Antoine Kaburahe : Je dois d'abord saluer le courage de la rédaction, elle continue à travailler dans des conditions très difficiles. En fait, la presse indépendante, depuis la tragédie de cette nuit de mai, quand les radios privées ont été détruites, elle est traumatisée. Les journalistes d'Iwacu travaillent donc, dans un contexte de grande tension. Certes, je reste d'une certaine manière présent, internet facilite les choses, mais je suis heureux que mon départ n'ait pas trop affecté le fonctionnement. Preuve qu'Iwacu est aujourd'hui une institution pérenne. J'en tire une certaine fierté mais le mérite revient d'abord aux journalistes sur terrain.
 
JusticeInfo : Vous avez été personnellement convoqué au parquet à Bujumbura il y a un mois. S'agissait –il d'un dossier relatif au coup d'Etat manqué de mai dernier comme l'ont rapporté les médias ?
 
A.K. : J'ai été convoqué à la mi-novembre par le parquet. Inutile de préciser que je ne suis lié ni de près ni de loin à ce putsch. Au terme de l'interrogatoire, le magistrat, très correct, m'a dit que je pouvais rentrer chez moi. Je devais partir en Belgique et n'avais aucune interdiction de sortir des frontières. Le procureur a émis une seconde convocation, mon avocat est allé expliquer que j'étais en voyage. J'ai alors appris que je faisais l'objet d'une demande d'extradition. Je ne suis pas le seul : au moins huit confrères, patrons de presse, sont dans la même situation que moi, accusés d'avoir participé au putsch.
 
JusticeInfo : Qu'est-ce qui justifie, d'après vous, l'intransigeance du gouvernement burundais face aux nombreux appels lancés par les pays voisins, l'Union africaine, l'Union Européenne et les Nations unies ?

A.K. : En effet, il est très difficile de comprendre cette position qui l'aliène de nombreux soutiens. Mais si l'on retournait un peu dans l'histoire récente du Burundi, il faut se souvenir que le CNDD-FDD (ndlr : le parti du président Pierre Nkurunziza) n'a pas eu sa « thérapie » d'Arusha. Le processus d'Arusha a permis à une certaine classe politique burundaise d'apprendre les vertus du dialogue. Mais ceux qui sont au pouvoir semblent privilégier la méthode forte, plus que le compromis. Certains estiment que le parti a une vision très martiale du pouvoir et qu'il ne s'est pas vraiment débarrassé des réflexes du maquis.
 
JusticeInfo : Le régime bénéficie-il d'un soutien occulte ou est-ce que parce que la communauté internationale ne s'est pas montrée suffisamment ferme jusqu'à présent?

A.K. : Aucun soutien occulte ne peut remplacer la coopération classique entre, par exemple, l'UE et le Burundi. Des soutiens peuvent juste « dépanner » mais au vu des sommes que le pays obtient à travers les projets, il me paraît presque suicidaire de se mettre en situation de ne plus bénéficier de cette aide. Quant à la « fermeté » de la communauté internationale, n'oubliez pas que celle-ci est une nébuleuse, qui peine à avoir une lecture commune, les divergences  du Conseil de sécurité sont une belle  illustration de ceci. Puis, n'oubliez pas que la communauté internationale a ses propres soucis. L'UE avec sa crise des migrants et le risque d'un terrorisme islamique sur son sol, la Russie avec la crise en Syrie, la Chine inquiète de la crise économique, bref, le Burundi, petit pays, sans ressources stratégiques vraiment, intéresse  peu. 
 
JusticeInfo : Le gouvernement est-il le seul responsable des violences dans le pays ou l'opposition y est-elle également impliquée ?
 
A.K : Non, le gouvernement n'est pas le seul responsable. Seulement, comme pour les dernières attaques (ndlr : qui ont visé des camps militaires), des populations civiles ont « payé » à la place des attaquants.
 
JusticeInfo : Que dites-vous des allégations de Bujumbura selon lesquelles le Rwanda entraîne et arme des réfugiés burundais pour qu'ils attaquent leur pays ?
 
A.K. : Je n'ai pas pour le moment des éléments objectifs qui me permettent de m'exprimer sur la question.  

 JusticeInfo : Pensez-vous que le temps soit venu pour le déploiement d'une force de l'ONU au Burundi, que le régime Nkurunziza soit d'accord ou non ?

 
A.K : Oui, absolument! Et puis, si une force vient stabiliser le pays, quelque part c'est le pouvoir qui en tirerait les bénéfices. Je ne comprends pas pourquoi le  régime s'attire encore les foudres de l'UA et de la communauté internationale…