La compétence universelle et les verrous du droit français

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La justice française a déjà jugé trois Rwandais pour génocide - dont l'un est rejugé à partir de mardi -, enquête sur des crimes contre l'humanité commis en Syrie ou au Congo, mais sa "compétence universelle" est bridée par quatre grands verrous, qui "consacrent l'impunité" pour des défenseurs des droits de l'Homme.

Qu'est-ce que la compétence universelle ?

La compétence universelle, ou extraterritoriale, est la possibilité pour un Etat de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves - crimes contre l'humanité, de guerre ou de génocide - quels que soient le lieu où le crime a été commis et la nationalité des auteurs ou des victimes.

Incrimination rétroactive, le crime contre l'humanité, imprescriptible, a été conçu au départ pour juger les auteurs ou complices de la Shoah.

Défini le 8 août 1945 par l'article 6 des statuts du Tribunal international de Nuremberg, le crime contre l'humanité concerne "l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toute population civile, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs raciaux ou religieux".

Après la guerre en Yougoslavie et le génocide rwandais, le concept a été élargi et défini par la Cour pénale internationale, entrée en fonction en 2002 et aujourd'hui tribunal permanent chargé de sanctionner ces crimes.

Quelle place dans le droit français ?

Une loi française du 26 décembre 1964 déclare ces crimes imprescriptibles. Le 20 décembre 1985, la Cour de cassation a élargi la notion de crime contre l'humanité : il peut s'agir aussi de crimes visant les adversaires de la "politique d'hégémonie idéologique" menée par un Etat totalitaire. La définition permet d'inclure les crimes contre la Résistance mais exclut d'éventuelles plaintes contre la politique coloniale de la France.

En janvier 1997, la Cour de cassation précise qu'il n'est pas nécessaire, pour être complice, d'avoir "adhéré à la politique d'hégémonie idéologique", ni "appartenu à une organisation déclarée criminelle par le tribunal de Nuremberg".

En 2001, la France reconnaît officiellement que la traite des Noirs et l'esclavage constituaient des crimes contre l'humanité.

Le crime contre l'humanité est défini de façon plus précise par le Statut de Rome de la CPI - qui inclut notamment l'apartheid, la torture, le viol, les disparitions forcées, la réduction en esclavage - et se généralise progressivement dans les droits nationaux.

La France, partie signataire au traité de Rome, a transposé le 9 août 2010 dans le droit national les crimes relevant de la compétence de la CPI.

Les verrous de la loi

Selon l'article 689-11 du code de procédure pénale, les poursuites ne peuvent être engagées qu'à quatre conditions, cumulatives :

- uniquement "à la requête du ministère public"

- si le suspect "réside habituellement sur le territoire" français

- si la CPI a "décliné expressément sa compétence"

- si "les faits sont punis par la législation de l'Etat où ils ont été commis"

Un projet de loi supprimant ces verrous, à l'exception du monopole du parquet, a été adopté à l'unanimité par le Sénat en février 2013, mais depuis, le texte n'a jamais été mis à l'ordre du jour de l'Assemblée.

Les enquêtes en cours

Depuis 2012, les enquêtes judiciaires sur ces crimes imprescriptibles sont regroupées au pôle crimes contre l'humanité du Tribunal de grande instance de Paris et les investigations confiées à un service spécialisé.

A l'été 2016, une vingtaine d'enquêtes préliminaires et quarante informations judiciaires, dont 26 sur le génocide rwandais, étaient en cours, selon une source judiciaire.

Les dossiers concernent désormais une dizaine de pays, en Afrique, Moyen-Orient ou Amérique du sud. Parmi eux, l'enquête visant le régime de Bachar al-Assad pour "crime contre l'humanité", portant sur des exactions documentées par les milliers d'images sorties du pays par un ex-photographe de la police militaire syrienne.