Rwanda : l’Etat, désormais premier responsable de la gestion des mémoriaux du génocide

Rwanda : l’Etat, désormais premier responsable de la gestion des mémoriaux du génocide©Photo par Kigali genocide memorial/ Flickr
L'entrée du mémorial de Bisesero
4 min 3Temps de lecture approximatif

Entretenir et protéger les principaux endroits où reposent les victimes fait partie intégrante de la préservation de la mémoire du génocide des Tutsis de 1994 au Rwanda. En vertu d’une loi de mai dernier, cette obligation incombe désormais à l’Etat rwandais, qui a par ailleurs entrepris auprès de l’Unesco une procédure d’inscription de certains mémoriaux au patrimoine mondial de l’humanité.

Avec  sa haie vive d’euphorbes, le cimetière-mémorial du génocide de Nyamure fait plutôt penser à un de ces enclos traditionnels rwandais. De loin, difficile de soupçonner que sur ses quelques 50 mètres carrés de terre parsemés de fleurs reposent plus de 20.000 Tutsis massacrés sur cette colline située à la frontière avec le Burundi. A peine le génocide arrêté, il avait fallu, souvent dans la hâte, ensevelir les morts. Qui dans des propriétés familiales, qui dans des parcelles appartenant à des confessions religieuses, qui sur des collines, comme ici à Nyamure.

 « Cela n’est pas tellement digne des nôtres tués pendant le génocide, mais des maux, il fallait choisir le moindre ! », affirme  un rescapé de Nyamure en parlant du cimetière de son village. A l’époque, l’on s’organisait sur les collines pour inhumer les corps. Par la suite, les pouvoirs publics ont pris les choses en mains. C’est ainsi la loi numéro 15/ 2016 du 2 mai 2016 régissant les cérémonies de commémoration du génocide perpétré contre les Tutsis et portant organisation et gestion des sites mémoriaux du génocide a été promulguée avec pour objectif de relever les défis liés à la gestion, l’entretien et la sécurisation des nombreux cimetières et mémoriaux du génocide éparpillés dans le pays. Selon la nouvelle législation, ces lieux de mémoire sont de deux niveaux : niveau national ou de district. Par ailleurs, ils font tous désormais partie du patrimoine national public et sont placés sous la responsabilité de la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG), une institution gouvernementale.

Les sites mémoriaux de niveau national sont au nombre de six. Il s’agit de Gisozi, dans la ville de Kigali, de Nyarubuye, Nyamata et Ntarama, dans l’est du Rwanda, et de Bisesero et Murambi, dans le sud-ouest du pays. Chacun de ces six mémoriaux a une « portée historique nationale particulière en ce qui concerne la planification et l’exécution du génocide perpétré contre les Tutsi », explique Jean - Damascène Bizimana, secrétaire exécutif de la CNLG.

Laboratoire du génocide

Quatre de ces mémoriaux, à savoir Gisozi, Nyamata, Bisesero et Murambi, ont par ailleurs été soumis à l’Unesco en 2012 pour inscription au patrimoine de l’humanité. Murambi, « le plus ancien laboratoire du génocide des Tutsis », selon la CNLG, est au cœur d’une région où déjà en 1963 plus de 20.000 Tutsis avaient été massacrés. A cette époque-là, quelques médias et chercheurs étrangers avaient déjà parlé de « génocide » pour qualifier ces pogroms. En plus de cette spécificité, Murambi  symbolise aussi, selon Kigali, l’implication étrangère dans le génocide. Des militaires français de « l’opération Turquoise » sont en effet accusés par le Rwanda, non seulement d’y avoir couvert la perpétration de crimes graves en 1994 mais aussi d’y avoir commis eux-mêmes assassinats et viols. Paris a toujours nié ces accusations.

Pour sa part, Nyamata, dans le Bugesera, avait accueilli depuis 1959 des Tutsis déportés d’autres régions du pays. Au début des déportations, Nyamata était infesté de la mouche tsé-tsé. En 1994, alors qu’ils avaient transformé en zone fertile cette région naguère inhospitalière, des dizaines de milliers de Tutsis de Nyamata furent massacrés, en un seul jour, dans l’église du même nom et ses environs. Ainsi donc, Nyamata  symbolise aussi l’extrême désacralisation des lieux de culte transformés en abattoirs pendant le génocide.

A près de 150 km de là, sur la crête Congo-Nil, le mémorial de Bisesero symbolise, quant à lui,  la résistance des Tutsis qui ont vendu cher leur peau en 1994. Retranchés sur les hauteurs de Bisesero, les hommes tutsis de l’endroit, armés de pierres, lances, arcs et flèches, opposèrent d’abord une farouche résistance aux assaillants équipés de fusils et de grenades.

Enfin, Gisozi, dans la capitale. Contrairement aux trois premiers, Gisozi n’est pas un site direct du génocide. C’est un mémorial où reposent les restes de victimes tuées à travers toute la ville de Kigali. Si ces victimes sont essentiellement des Rwandais, il y a aussi des étrangers que les bourreaux assimilaient aux Tutsis ou considéraient comme leurs complices. Gisozi représente donc cette universalité des victimes.

« Nous sommes en train de faire ce dossier avec toute la qualité scientifique qui s’impose, pour atteindre tous les standards exigés par l’Unesco qui fera l’évaluation en février 2018 », indique le secrétaire exécutif de la CNLG, confiant que les quatre mémoriaux seront retenus. Des experts de l’Unesco et du Rwanda ont eu des échanges approfondis sur le dossier lors d’un colloque ad hoc les 8 et 9 novembre derniers à Kigali.

Cas isolés de profanation

En plus de six grands mémoriaux nationaux, le pays compte des mémoriaux de district – au moins un pour chacun des 30 districts administratifs du Rwanda. Selon cette moi de mai dernier, « chaque district dispose d’au moins un site mémorial » déterminé sur base d’ « un aspect historique du génocide perpétré contre les Tutsi » dans cette entité administrative. Les autorités du district sont chargées de la construction, de la réhabilitation, de la gestion et de la sécurité des mémoriaux de leur ressort, sous la supervision de la CNLG. Mais compte tenu de l’insuffisance des moyens humains, matériels et financiers des districts, la Commission envisage de regrouper certains sites pour n’en garder que ceux qui sont gérables, confie Jean-Damascène Bizimana qui déplore, par ailleurs, des cas isolés de profanation dont celui, en juin dernier, d’une tombe dans le sud du pays.