Le Congrès philippin s'attaque aux droits de l'homme et à la Cour suprême

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Les parlementaires philippins ont voté pour priver la Commission des droits de l'homme de son budget et fait un premier pas pour destituer la cheffe de la Cour suprême, faisant dire aux détracteurs de Rodrigo Duterte que l'archipel glisse vers la dictature.

Ces deux votes à la Chambre des représentants montrent aux yeux de ses critiques que le président est en train de museler toute opposition à sa guerre controversée contre la drogue. Celle-ci s'est traduite par la mort de milliers de personnes et les défenseurs des droits jugent qu'il s'agit peut-être d'un crime contre l'Humanité.

La Chambre a décidé de ramener les fonds alloués à la Commission des droits de l'homme à 1.000 pesos (16 euros), dans le projet de budget 2018 voté en deuxième lecture mardi soir.

M. Duterte a lui-même lié cette décision à l'enquête menée par la Commission des droits de l'Homme sur les morts de la guerre antidrogue et les critiques émises sur le sujet par son président, Jose Gascon.

"Il n'a que ce qu'il mérite", a-t-il lancé à la presse. "Ils lui ont donné 1.000 pesos seulement parce que le Congrès est en colère".

Cette commission est l'un des organes indépendants prévus par la Constitution pour surveiller le travail de l'exécutif, qui a lui la mainmise sur la police et les forces armées.

La Cour suprême est un autre garde fou constitutionnel.

- "Vers la dictature" -

Les alliés du président à la Commission de la justice de la chambre basse ont également voté en faveur de la destitution de la présidente de cette juridiction, Maria Lourdes Sereno, jugeant que des accusations de corruption portées contre elle n'étaient pas sans fondement.

Mme Sereno est une autre personnalité qui s'est montrée critique envers la campagne antidrogue. L'année dernière, elle avait écrit au président pour s'inquiéter du fait qu'il avait publiquement accusé sept juges, désignés nommément, d'être mêlés au trafic de drogue.

M. Duterte avait répliqué en menaçant de décréter la loi martiale.

Si la Chambre des représentants votait la motion de la commission de la justice en assemblée plénière, le Sénat aurait alors à se réunir pour examiner la destitution de Mme Sereno.

De même, le Sénat doit encore voter la décision sur le budget des droits de l'homme.

La chambre haute est également dominée par les alliés du président mais elle s'est montrée plus indépendante que la chambre basse, et pourrait prendre le contrepied des deux votes.

Cela n'a pas empêché les opposants de mettre en garde contre l'autoritarisme de M. Duterte, qui se dit socialiste et chante régulièrement les louanges du dictateur défunt Ferdinand Marcos et du président russe Vladimir Poutine.

"Cela nous place sur une trajectoire directe vers la dictature", a dénoncé le sénateur Francis Pangilinan, chef du Parti libéral, principal mouvement de l'opposition.

- 'Harcèlement et intimidation' -

Teodoro Casino, ancien représentant issu du parti de gauche Bayan Muna, lui a fait écho.

"Nous considérons ceci comme une tentative de harcèlement et d'intimidation de la Cour suprême", a-t-il dit à l'AFP. "Les institutions conçues pour être les organes de surveillance du gouvernement, particulièrement en matière de droits de l'Homme, sont attaqués et affaiblis".

L'une des principales opposantes du président, la sénatrice Leïla de Lima, avait été arrêtée en février pour des raisons qualifiées de "politiques" par une résolution du Parlement européen.

Cette ancienne ministre considérée par l'ONG Amnesty International comme une prisonnière d'opinion était auparavant présidente de la Commission des droits de l'homme.

Au cours du weekend, M. Duterte a également promis de "détruire" un autre de ses opposants, le sénateur Antonio Trillanes, grand pourfendeur de la guerre antidrogue.

Rodrigo Duterte avait été élu dans un fauteuil en 2016 en promettant d'éradiquer le trafic de drogue en faisant abattre des dizaines de milliers de délinquants.

La police a annoncé avoir abattu 3.800 toxicomanes ou trafiquants présumés. Des milliers d'autres personnes ont été tuées dans des circonstances inexpliquées.

Une fois à la présidence, M. Duterte a dit qu'il serait "heureux de massacrer" trois millions de toxicomanes, promettant aux policiers impliqués qu'ils n'iraient pas en prison.

Les sondages montrent que la plupart des Philippins continuent de soutenir cette politique.

Mais l'Eglise catholique, très influente dans l'archipel, a pris la tête d'une campagne de résistance de plus en plus audible, avec des manifestations appelant à l'arrêt des meurtres.