La destruction de l’environnement est (déjà) un crime de guerre… qu’il est presque impossible de commettre

Une lettre ouverte de 24 scientifiques, publiée dans la revue Nature en juillet 2019, appelle à l’élaboration d’une cinquième Convention de Genève pour protéger l'environnement durant les conflits armés. Mais la destruction de l'environnement est déjà reconnue comme un crime de guerre par la Cour pénale internationale et encadré par des lois. Le problème est que les protections juridiques existantes sont inadéquates, incohérentes, et que la plupart des comportements des militaires ne violent pas ces lois.

La destruction de l’environnement est (déjà) un crime de guerre… qu’il est presque impossible de commettre©National Museum of the US Air Force
C'est la pratique de l'épandage de défoliants (ici pendant la guerre du Vietnam) qui a incité à agir pour protéger l'environnement durant les conflits.
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Il existe actuellement quatre Conventions de Genève et trois protocoles additionnels qui sont censés réglementer la conduite en période de conflit armé, parfois connus sous le nom de règles de la guerre. Les quatre Conventions de Genève originelles, dont le 70ᵉ anniversaire a été célébré cette année, ne font aucune mention explicite de l’environnement naturel.

L’utilisation de l’Agent Orange (et des agents Blanc et Bleu) pour défolier d’immenses étendues de terre pendant la guerre du Vietnam a conduit à l’introduction des premières protections spécifiques relatives à l’environnement pendant les conflits armés.

À partir de la 18ᵉ seconde de cette vidéo, on voit des soldats américains en train d’épandre de l’Agent Orange pendant la guerre du Vietnam.

Après la guerre du Vietnam, deux développements majeurs sont intervenus. Le premier a été l’adoption de la Convention des Nations unies sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toute autre fin hostile (ENMOD) qui interdit l’utilisation de techniques ayant un impact sur l’environnement « étendu, durable ou grave ». Le deuxième a été l’inclusion dans le protocole additionnel 1 (API) de dispositions interdisant les méthodes ou moyens destinés ou susceptibles de causer « des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel » pendant une guerre.

Des infractions presque impossibles à commettre

Les deux traités fixent un seuil très élevé pour ces infractions à la loi. L’API exige que les trois éléments du délit – généralisé, durable et grave – soient présents pour qu’une action militaire soit considérée comme une violation de cette disposition. La conséquence est que la plupart des comportements militaires, même lorsqu’ils nuisent à l’environnement, ne violeront pas ces lois. Pour compliquer encore les choses, la définition des trois termes fait l’objet de désaccords constants.

Bien qu’un accord ait été trouvé pour déterminer les définitions dans le cadre de l’ENMOD, la signification des termes contenus dans l’API fait toujours l’objet d’un différend. Les définitions fournies ici sont parmi les plus communément acceptées. Shireen Daft, Author provided

La seule destruction de l’environnement récente considérée comme ayant atteint ce seuil a été l’incendie des champs pétroliers koweïtiens par les forces irakiennes lors de leur retraite pendant la guerre du Golfe en 1991.

La Commission d’indemnisation des Nations unies a tenu l’Irak pour responsable des dommages causés à l’environnement au Koweït. Mais comme l’Irak n’était partie ni à l’ENMOD ni à l’API, la Commission a appliqué une norme juridique unique dérivée de la résolution 687 du Conseil de sécurité et l’Irak verse toujours une compensation au Koweït à ce jour.

Ni l’ENMOD ni l’API ne précisent qu’une violation de ces dispositions constitue un crime de guerre. C’est en 2002 que le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale est entré en vigueur. Le Statut de Rome définit comme un crime de guerre le fait de causer intentionnellement « des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs » par rapport à l’avantage militaire attendu. Ces termes n’étant pas définis plus précisément dans le Statut de Rome, ce que l’on entend par « manifestement excessif » est subjectif et introduit un critère de proportionnalité.

Une autre Convention de Genève ?

Un nouvel accord international qui concilierait les intérêts de la protection de l’environnement et le droit des conflits armés pourrait se révéler extrêmement utile. Le cadre juridique existant n’est équipé que pour faire face aux attaques directes contre l’environnement naturel.

Mais cela ne tient pas compte des nombreuses autres façons dont l’environnement est affecté par les conflits. Les ressources telles que les diamants, le coltan, le bois d’œuvre et l’ivoire sont toutes utilisées financer des conflits, et cela exerce une énorme pression sur l’environnement.

Une lacune réside en particulier dans le fait que le cadre actuel ne tient pas compte des espèces non humaines, à savoir les espèces sauvages touchées par la guerre ou les animaux utilisés à des fins militaires. Pourtant, il a été prouvé que les conflits se trouvent à l’origine du déclin de nombreuses populations d’animaux sauvages.

Un puits en feu au Koweït, 1991. EdJF/Wikimedia, CC BY-SA

Mais un nouveau traité qui créerait des protections solides, efficaces et applicables exige une volonté politique forte. Une tentative a été faite il y a deux décennies, initiée par l’organisation Greenpeace, mais aucun accord n’a été trouvé. Cette tentative a pourtant été menée à une époque où la coopération internationale et l’élaboration de traités étaient à leur apogée, après la fin de la Guerre froide.

Dans l’environnement politique et social actuel, il semble peu probable qu’une telle tentative d’accord soit couronnée de succès. Au mieux, nous verrions apparaître des protections édulcorées, pas plus fortes que celles qui sont déjà en place. Ainsi, l’élaboration d’une telle Convention aujourd’hui pourrait faire plus de mal que de bien, sur le long terme.

Si ce n’est un nouveau traité, alors quoi ?

La Commission du droit international (CDI) a publié son dernier rapport – transmis à ses membres le 8 août 2019 pour commentaires – sur la question de la protection de l’environnement pendant les conflits armés. C’est ce qui a inspiré la Lettre ouverte des scientifiques en premier lieu.

Les projets de principe élaborés par la CDI ne sont pas de nouveaux principes de droit, mais se trouvent déjà dans le cadre juridique existant. Malheureusement, le travail produit jusqu’à présent continue d’utiliser les termes « généralisé, durable et grave » sans que l’on sache clairement ce qu’ils signifient. Mais il confirme cependant que tous les principes fondamentaux des règles de la guerre s’appliquent à l’environnement et doivent être interprétés « en vue de sa protection ». L’environnement ne doit pas être une cible et l’impact sur l’environnement doit être pris en compte dans les opérations militaires.

Les travaux de la CDI devraient informer les gouvernements de l’interprétation du droit en vigueur. Les gouvernements devraient alors accorder plus d’attention à l’environnement dans les directives opérationnelles utilisées par leurs armées.

Le manuel sur le droit des conflits armés qu’utilisent les forces armées australiennes reconnaît déjà qu’elles ont le devoir de protéger l’environnement. L’étape suivante consiste à aller au-delà de ce principe général et à adopter des lignes directrices précises et claires sur ce que signifie la protection de l’environnement en période de conflit armé, dans la pratique.

Le Comité international de la Croix-Rouge est également en train de mettre à jour ses directives pour tous les manuels militaires afin de s’assurer que l’environnement soit un facteur à prendre en compte dans toutes les opérations militaires. Mais si le monde n’est peut-être pas encore prêt à envisager une nouvelle Convention de Genève relative à l’environnement, la survie de notre environnement naturel dépend néanmoins des changements qui seront apportés à la façon dont la guerre est conduite.


Shireen Daft, Lecturer, Macquarie Law School, Macquarie University

Cet article, légèrement modifié par Justice Info avec l'accord de l'auteur, est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

La traduction française a été réalisée par Justice Info.The Conversation