Pérou : une vie aux mains de la guérilla du Sentier lumineux

2 min 41Temps de lecture approximatif

A 18 ans, il a été enlevé par le Sentier lumineux à sa tribu et son village ancestral, dans l'impénétrable forêt amazonienne du Pérou, là où les arbres peuvent atteindre 40 mètres de haut.

Forcé à travailler la terre par la guérilla maoïste, cet homme de l'ethnie ashaninka qui a aujourd'hui dépassé la quarantaine vient d'être libéré de son esclavage par l'armée, mais ses enfants restent en otage.

"Je suis resté contre ma volonté, vivant constamment dans la peur. Je cultivais les champs pour nourrir les enfants", raconte-t-il sous couvert d'anonymat.

Il préfère taire son nom mais ceux qui sont nés en captivité restent dans les limbes juridique, sans identité ni droits, ignorés de tous et de l'Etat péruvien.

"C'est une zone qui a été abandonnée, sur les flancs de la cordillère des Andes, et où personne ne veut regarder", a reconnu cette semaine le ministre de la Défense, Jakke Valakivi, lors d'une rencontre avec la presse étrangère sur la base militaire de Mazamari (centre).

Au cours des deux dernières semaines, les militaires ont réussi à libérer dans cette région 33 enfants et 21 adultes - en majorité des femmes - retenus prisonniers dans des camps de culture de coca par un groupe issu de la guérilla du Sentier lumineux.

L'opération a été menée par "un Commando spécial des Forces armées et de la police" des Vallées des fleuves Apurimac, Ene et Mantaro (VRAEM, sud), une région montagneuse et boisée, où opèrent encore des groupes se réclamant de la guérilla, défaite dans les années 2000.

Fondé en 1970, le Sentier lumineux a mené un violent combat contre l'Etat dans les années 1980 à 2000. Ce conflit a fait quelque 70.000 morts, selon une Commission vérité et réconciliation.

- 80 combattants -

Selon le chef de la Direction contre le terrorisme, José Baella, 350 membres de la guérilla, dont 80 combattants, se trouvent encore dans une région où elle opère depuis plus de 30 ans. Se livrant principalement désormais au trafic de drogue, affirment les autorités.

"Les femmes sont mises enceintes quand elles sont jeunes pour que leurs enfants grossissent les rangs de (la guérilla). Les enfants s'occupent d'abord des plantations de coca et quand ils ont 12 ou 14 ans, ils intègrent les forces opérationnelles du Sentier lumineux", a expliqué pour sa part le ministre.

Le VRAEM, considéré comme une zone de guerre depuis 2006, est la principale zone de production de feuilles de coca du pays, deuxième producteur mondial de cocaïne derrière la Colombie.

"Il est incroyable de voir comment les gamins qui sont nés et ont grandi dans ces camps peuvent identifier une trace de pas, la situer dans le temps et sentir quelqu'un de l'extérieur, à l'odeur de son déodorant ou son savon", indique un militaire à l'AFP.

"Le Sentier a fait beaucoup de mal, tué beaucoup de gens. Je voulais m'échapper, mais j'avais peur qu'on me tue (...) J'ai été libéré avec ma femme, mais mon fils et ma fille sont restés dans le camp. Ils nous manquent", se lamente l'ex-captif ashaninka, à l'aide d'un traducteur.

De nombreux adultes libérés ne connaissent pas leur âge. Une femme ashaninka se souvient avoir été emmenée de force à l'âge de huit ans, contrainte à faire la cuisine dès l'aube. Aujourd'hui, elle calcule avoir plus de 30 ans.

"Le Sentier lumineux a appliqué la stratégie de Pol Pot (le dirigeant politique et militaire des Khmers rouges cambodgiens, partisans d'un communisme radical) divisant les familles capturées et les mettant dans des camps différents en les menaçant tous de mort s'ils s'échappaient", relève le chef du Commando spécial, le général Cesar Astudillo.

Un ancien captif qui travaille aujourd'hui avec l'armée a été enlevé enfant avec sa famille. Un membre de la guérilla a tué son père sous ses yeux et l'a obligé à tuer un ami, violant aussi sa mère et sa soeur.

Dans ce conflit oublié du monde, il veut aujourd'hui capturer celui qui est devenu le père de son frère et de son neveu.