En Colombie, le processus de paix génère aussi des doutes

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S'il laisse entrevoir une lueur d'espoir en Colombie, le processus de paix suscite aussi les réticences de ceux qui n'ont pas intérêt à voir se terminer ce conflit de plus d'un demi-siècle, ou sont sceptiques quant au respect de la justice.

"Certains questionnent le fait que guérilleros et militaires soient mis au même niveau", souligne Angelika Rettberg, experte en conflits armés, paix et sécurité de l'Université des Andes à Bogota.

La droite radicale est la plus virulente, arguant que "les militaires en retraite, ceux qui ont lutté toutes ces années, se sentent trahis", précise-t-elle à l'AFP.

L'ex-président conservateur Alvaro Uribe est vite monté au créneau pour s'insurger contre l'agrément judiciaire signé mercredi par le gouvernement de son successeur, Juan Manuel Santos, et la rébellion des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, marxistes).

"Rien n'est exigé des Farc", a-t-il dénoncé dans un communiqué, jugeant que "les militaires ne sont pas dignement traités", mais "mis à égalité avec les Farc, soumis au même mécanisme de justice illégitime".

Le texte, pierre angulaire de l'accord de paix définitif qui devrait être signé d'ici six mois, prévoit une "juridiction spéciale" pour les acteurs du conflit armé qu'ils soient guérilleros, militaires ou ex-paramilitaires démobilisés dans les années 2000.

"Beaucoup, y compris des politiques et chefs d'entreprise, espéraient que le thème de la justice ne concerne que les Farc. Mais il n'en est pas ainsi et ils se sentent trahis", abonde Ariel Avila, analyste de la Fondation Paix et Réconciliation également interrogé par l'AFP.

L'opposition se fait toutefois davantage entendre sur le terrain politique que dans les casernes. Si "les Farc s'en sortent bien, les militaires vont aussi bénéficier de cet accord, souligne Frédéric Massé, notamment ceux impliqués dans les +falsos positivos+", exécutions extrajudiciaires de civils présentés comme des guérilleros pour obtenir avancements ou primes.

- Réticences morales... ou financières -

Il y a aussi des déçus pour raisons morales. "Sur le plan politique, c'est un très bon accord, un accord réaliste. Mais éthiquement, on peut comprendre les critiques", admet cet expert de l'Université Externado.

"Il est gênant que des personnes responsables de massacres, tant du côté de la guérilla que des militaires ou paramilitaires (...) prennent 5 à 8 ans assignés à résidence, au lieu de prison ferme", a-t-il déclaré à l'AFP.

En outre, "parmi les élites rurales, des éleveurs, des politiques locaux ont été enlevés et ne voient évidemment pas ça d'un bon oeil", ajoute M. Avila.

Du côté des sceptiques, l'ONG Human Rights Watch (HRW) : son directeur pour l'Amérique, José Miguel Vivanco, craint que "les responsables des pires abus puissent être exonérés ne serait-ce que d'un seul jour de prison".

La procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Besouda, s'est engagée à suivre de près l'application de l'accord, mais a d'ores et déjà salué "l'exclusion de toute amnistie pour les crimes de guerre, ainsi que les crimes contre l'humanité".

D'autres s'inquiètent d'un impact sur leur portefeuille.

Ainsi dans les campagnes, "des éleveurs ont tiré un grand bénéfice du conflit armé" qui dure depuis plus d'un demi-siècle, profitant du chaos pour étendre leurs propriétés, et "ils savent que s'il y a la paix, ils vont devoir rendre des terres et des comptes", selon M. Avila.

C'est moins le cas des entreprises de sécurité et de surveillance dont "les affaires ne vont pas chuter du jour au lendemain car il va encore y avoir des problèmes d'insécurité pendant un bon moment en Colombie", a précisé Mme Rettberg.

"La paix ne signifie pas la fin de la criminalité, renchérit M. Massé. Il y a des dynamiques mafieuses qui ne vont pas disparaître du jour au lendemain, des acteurs armés comme les BaCrim" (abréviation de bandes criminelles), impliquées notamment dans le trafic de cocaïne dont la Colombie est le premier producteur mondial.

Un sentiment partagé dans la population. "Ce n'est pas suffisant", déplore Dayna Rubiano, 20 ans. Pour cette étudiante en publicité qui n'a connu que la guerre, un "grand poids pèse sur les Colombiens. Un accord de paix ne va pas régler le problème de la violence, des enlèvements et des assassinats".