Procès Karadzic: le génocide reste le plus crime le plus difficile à prouver

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La condamnation de Radovan Karadzic, reconnu coupable de génocide à Srebrenica mais pas dans sept autres villes de Bosnie, montre une nouvelle fois que "le plus abominable" des crimes est aussi le plus difficile à prouver.

Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY ) a jugé jeudi l'ancien chef politique des Serbes de Bosnie coupable de 10 chefs d'accusation de génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité pour son rôle dans la guerre de Bosnie (1992-1995), et l'a condamné à 40 ans de prison.

Au total, une quinzaine de personnes ont été reconnues coupables de génocide par le TPIY pour le massacre de 8.000 hommes et garçons musulmans de Bosnie à Srebrenica en 1995. Mais aucune condamnation pour génocide dans d'autres municipalités n'a jamais été prononcée devant le TPIY.

Le terme de génocide a été utilisé pour la première fois dans un cadre juridique lors des procès militaires de Nuremberg de l'immédiat après-guerre en Allemagne, alors que le monde clamait "plus jamais ça" et poursuivait pour la première fois des responsables de la mort de six millions de Juifs pendant l'Holocauste.

Inventé en 1944 par Raphael Lemkin, un Juif polonais, le terme est dérivé du grec "genos", pour la race ou la tribu, et du suffixe "-cide" provenant du latin "caedere", qui signifie tuer.

Il a été intégré au droit international dans une Convention de l'ONU de 1948 qui le définit comme un acte ou une série d'actes "commis dans l'intention de détruire, intégralement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux".

- 'intention de tuer' -

Les juges du TPIY ont convenu que Karadzic et ses forces serbes de Bosnie avaient bien "l'intention de tuer tous les hommes musulmans de Bosnie valides" à Srebrenica. M. Karadzic a aussi été reconnu coupable de persécutions, meurtres, viols, traitements inhumains ou transferts forcés, notamment pour le siège de Sarajevo - 10.000 personnes tuées en 44 mois - et pour des camps de détention aux "conditions de vie inhumaines".

Mais les juges ont estimé qu'il n'y avait "pas de preuves suffisantes" pour établir qu'un génocide avait été commis contre les Musulmans de Bosnie ou les Croates de Bosnie dans sept municipalités autres que Srebrenica.

Le procureur du TPIY Serge Brammertz a estimé que "justice a été faite", mais, a-t-il dit à l'AFP, son bureau est susceptible de faire appel du verdict "non coupable" concernant ces faits, une fois qu'il aura épluché l'intrégalité du jugement, motivé sur 2.600 pages.

"C'était l'un des procès les plus importants de l'histoire du tribunal", a souligné M. Brammertz.

Son bureau, certes, "aurait préféré" un verdict de culpabilité complet concernant les accusations de génocide. Reste que les actes commis dans ces municipalités ont été qualifié de "crimes de guerre et crimes contre l'humanité" et que Karadzic "a été condamné pour assassinats, extermination et nettoyage ethnique", a-t-il souligné.

Le TPIY, basé à La Haye et créé en 1993 pour juger les crimes de guerre découlant du conflit des Balkans, a été le premier tribunal pénal international à prononcer des condamnations pour génocide en Europe.

Un tel verdict peut aider à la reconnaissance des souffrances des familles, soulignent des experts.

Mais "il y a une hiérarchie dans la perception des crimes: le génocide est considéré comme le crime des crimes, tandis que les crimes contre l'humanité sont vus comme à un niveau un peu inférieur", relève Rachel Kerr, spécialiste en crimes de guerre et qui enseigne au King's College de Londres. Et le fait qu'à ce jour personne n'a été reconnu coupable de génocide dans les municipalités de Bosnie évoquées est "extrêmement problématique" pour le tribunal.

- 'Jamais oubliés' -

La reconnaissance d'un génocide a de lourdes implications morales et politiques, et les gouvernements sont souvent prudents en la matière.

La Serbie a déploré vendredi l'application d'une "justice sélective" quand Moscou dénonçait un jugement "politiquement motivé".

Les États-Unis, eux, viennent tout juste de déclarer que le massacre par le groupe jihadiste Etat islamique (EI) des chrétiens, yézidis et chiites en Irak et en Syrie équivalait à un génocide.

Mais il n'a pas encore été établi si la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, seul tribunal permanent indépendant mis en place pour juger des génocides, peut agir en Irak ou en Syrie, puisque aucun de ces pays n'a ratifié le Statut de Rome (1998) qui l'a créée.

Ainsi, la CPI ne peut avoir compétence sur des crimes commis en Irak ou en Syrie que si une résolution de l'ONU la lui octroie, un vaste sujet.

Le verdict contre Karadzic "envoie un message" à d'autres dirigeants, a estimé l'ambassadrice américaine auprès des Nations Unies, Samantha Power, en liant ce jugement aux cas du président syrien Bachar al-Assad, du leader de Boko Haram Abubakar Shekau ou encore du chef du groupe Etat islamique Abu Bakr al-Baghdadi: "Vos crimes ne seront jamais oubliés".