Au Pérou, l'ombre du clan Fujimori plane toujours sur la vie politique

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Le père est en prison pour crime contre l'humanité, les tantes et l'oncle ont fui la justice péruvienne. Et la fille, Keiko Fujimori ? Elle est la favorite de l'élection présidentielle au Pérou, dont le premier tour a lieu dimanche.

Ce clan, qui descend d'émigrants japonais, a vu le jour sous la présidence d'Alberto Fujimori (1990-2000) qui purge actuellement à 77 ans une peine de 25 ans de prison pour corruption et crime contre l'humanité.

Durant ses deux mandats, celui que les Péruviens surnomment "El Chino" ("Le Chinois") mena une guerre sans merci contre la guérilla maoïste du Sentier Lumineux, mais le pays fut également le théâtre de nombreuses violations des droits de l'homme, comme des stérilisations forcées pour contrôler les naissances.

Comme dans les meilleurs telenovelas latino-américaines, népotisme, trahisons et passions font partie de la saga Fujimori.

A commencer par la mère de Keiko, Susana Higuchi, également d'origine nippone, qui avait dénoncé au milieu des années 1990 les agissements de la famille de son mari. Ceci lui valut d'être torturée par les services secrets péruviens, alors dirigés par le bras droit du président, Vladimiro Montesinos, comme elle le dénonça en 2001 devant le Congrès.

A cette époque, l'ancien homme fort du Pérou avait dissous le parlement et suspendu la Constitution avec l'appui des forces armées, faute de majorité. Après cet "auto-coup d'Etat" ("autogolpe") du 5 avril 1992, il avait fait adopter une nouvelle Constitution taillée à sa mesure avant d'être réélu en 1995.

Keiko Fujimori, alors âgée de 19 ans, avait alors dû remplacer sa mère au poste de Première dame après le violent divorce de ses parents.

"Depuis, elle est restée la personnalité politique péruvienne la plus célèbre", souligne Maria Luisa Puig, analyste de l'Amérique latine au cabinet Eurasia Group.

Bien que Susana Higuchi soit apparue durant la campagne pour soutenir sa fille, ses relations avec la favorite des sondages ne sont pas au beau fixe. Keiko a récemment déclaré que les accusations de sa mère contre son père étaient des "légendes".

- 'Pouvoir fort' -

Bien qu'âgé et malade, l'ombre d'Alberto Fujimori continue pourtant de planer sur la politique locale et sur sa fille de 40 ans, qui pourrait devenir la première femme présidente du Pérou.

"Elle représente pour beaucoup de gens en province un espoir que les autres partis n'ont pas su apporter. Fujimori, c'est la stabilité, le pourvoir fort, c'est sortir de la crise", souligne Isabelle Tauzin, professeur à l'université de Bordeaux et spécialiste du Pérou.

Au crédit de Fujimori père, "la fin du Sentier lumineux", rappelle-t-elle. En 1993, après sa victoire, grâce notamment aux milices des Escadrons de la mort, sur l'insurrection communiste et l'arrestation de son chef Abimael Guzman, le magazine américain Time l'avait désigné personnalité sud-américaine de l'année.

Mais beaucoup craignent que Keiko, si elle parvient à la Casa Pizarro, siège du gouvernement, réhabilite son père et permette au clan Fujimori de reprendre pied dans le pays andin.

En 2011, la fille de l'ex-président s'était inclinée face à l'actuel président, Ollanta Humala, avec une stratégie où elle revendiquait l'héritage paternel, clamait son innocence et promettait de le gracier si elle accédait au pouvoir.

Trois des frères et soeurs du "Chinois", Juana, Rosa et Pedro Fujimori ont d'ailleurs fui le pays et la justice péruvienne qui les recherchait pour enrichissement illicite et association de malfaiteurs. Durant la présidence d'Alberto, ils sont soupçonnés d'avoir détourné des dons japonais destinés aux pauvres du Pérou.

Un autre frère Fujimori, Santiago, le cadet, est très actif en politique au Pérou, au côté de ses neveux, Keiko et son frère Kenji.

Ce dernier, l'enfant gâté qui avait l'habitude de se promener avec ses amis dans les hélicoptères de l'armée lorsque son père dirigeait le pays, est entré en politique en 2011 comme député. Il n'a jamais caché ses ambitions: occuper un jour le fauteuil présidentiel.