Libérer Alberto Fujimori, une question qui divise le Pérou

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Il purge 25 ans de prison pour crimes contre l'humanité mais certains souhaitent le voir dehors : l'éventuelle remise en liberté d'Alberto Fujimori, ex-homme fort du Pérou, est la question polémique de la campagne pour le second tour de l'élection présidentielle.

"Le président (Alberto) Fujimori doit sortir par la grande porte et la justice doit annuler ce jugement", a affirmé lundi soir, dans un programme de télévision, la parlementaire Cecilia Chacon, du parti Fuerza Popular de Keiko Fujimori, fille de l'ancien mandataire.

Keiko Fujimori, 40 ans, a remporté dimanche une double victoire, arrivant largement en tête du premier tour de la présidentielle avec 39,91% des voix, selon des résultats officiels quasi-définitifs, et raflant la majorité absolue au Parlement monocaméral.

Mais sur son parcours plane l'ombre de son père, dont le style populiste et autoritaire continue de diviser fortement le Pérou.

Après avoir échoué en 2011 à se faire élire, notamment pour avoir annoncé qu'elle allait gracier son père une fois au pouvoir, Keiko Fujimori a promis cette fois de pas utiliser son pouvoir, si elle est élue, pour le faire sortir de prison.

Et elle a surtout espéré que la question ne referait pas surface d'ici le second tour le 5 juin, où elle affrontera l'ex-banquier de Wall Street de 77 ans Pedro Pablo Kuczynski.

Peine perdue : tout juste réélue au Parlement, Cecilia Chacon a remis la question sur la table.

"Nous sommes certains que nous allons vérifier et prouver que le jugement, la condamnation du président Alberto Fujimori est non seulement injuste, mais qu'elle n'est pas conforme à la loi et doit être déclarée nulle", a-t-elle clamé.

- 'Phrase maladroite' -

Dans ce pays andin de 31 millions d'habitants, difficile d'oublier le passage au pouvoir d'Alberto Fujimori, président de 1990 à 2000. Certains le saluent comme l'homme ayant combattu avec succès la guérilla maoïste du Sentier lumineux et dopé l'essor économique du pays.

"Il y a une partie de la population plus démunie chez qui l'espoir d'un retour du père prédomine. Keiko profite du fait que ces personnes perçoivent comme positives les années où son père était au pouvoir et pratiquait une politique d'assistanat (...). Elles espèrent sortir de l'isolement et de la pauvreté de quelque manière que ce soit", expliquait récemment à l'AFP l'analyste politique Jorge Bruce.

Mais d'autres se souviennent aussi de ses méthodes autoritaires, alors qu'il purge désormais une peine de 25 ans de prison pour avoir commandité deux massacres perpétrés par un escadron de la mort en 1991-1992, dans le cadre de la lutte contre le Sentier lumineux.

L'ex-mandataire de 77 ans a également été reconnu coupable de corruption.

Sa fille, qui a fait campagne en misant notamment sur un ambitieux plan sécuritaire, se trouve donc à la fois avantagée et desservie par son patronyme.

Soucieux de ne pas attiser les tensions entre pro et anti-fujimoristes, le candidat de Fuerza Popular au poste de vice-président, José Chlimper, a réaffirmé que le sort de l'ex-président se déciderait devant la justice et non par la voie d'une grâce présidentielle.

"Je crois que sa phrase était un peu maladroite", a-t-il commenté à propos des déclarations de Mme Chacon, qui est pourtant une figure emblématique du parti et pourrait présider le Parlement.

Mais même M. Kuczynski, lui aussi fils d'immigrants comme M. Fujimori, a promis de lui permettre d'effectuer sa peine à domicile en raison de son état de santé délicat, le vieil homme souffrant d'hypertension et d'une lésion cancérigène à la langue.

Coïncidence du calendrier, le Tribunal constitutionnel s'est réuni mercredi pour écouter les arguments de la défense de l'ex-président, qui demande l'annulation de sa condamnation, l'organisation d'un nouveau procès et sa remise immédiate en liberté.

C'est le dernier recours possible pour M. Fujimori, qui avait déjà saisi, sans succès, tous les autres instances judiciaires du pays.