La traque des génocidaires rwandais: un "coût" et une "obsession" pour Alain Gauthier

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A l'approche du deuxième procès à Paris sur des massacres de 1994 au Rwanda, Alain Gauthier, dont l'association est à l'origine de la plupart des enquêtes ouvertes en France sur le génocide, a expliqué à l'AFP son "obsession" de la recherche de financements, pour "allumer la mèche de la justice".

QUESTION: Vous avez récemment alerté sur le coût de la traque, êtes-vous au bout de vos forces?

REPONSE: "Notre obsession est le financement des procès. Les recherches des témoins, les plaintes, et surtout les procès, coûtent cher. Celui de Pascal Simbikangwa (condamné en 2014 à Paris) nous avait coûté 120.000 euros, il nous manque 180.000 euros pour celui qui arrive, avec deux accusés et beaucoup de témoins. Nos avocats travaillent bénévolement depuis des années, mais pour le procès, nous nous sommes engagés à payer leurs honoraires.

On lance des appels aux dons en permanence, on reçoit beaucoup de petits dons, de 20 à 300 euros, qui montent parfois à plusieurs milliers d'euros quand cela vient d'une fondation. Cela ne suffit pas.

D'où la création en mars d'une association soeur au Rwanda, +Les Amis du Collectif des parties civiles pour le Rwanda+ (CPCR), qui va nous aider à supporter le poids de ces procès."

Q: Au risque qu'on vous accuse d'être la main de Kigali dans ces dossiers?

R: "Je suis totalement transparent sur ce point: cela fait deux ans qu'on travaille à la création de cette ONG, parce qu'il était important que les Rwandais eux-mêmes puissent contribuer à ce combat contre l'impunité en France.

L'objectif est très clairement de financer ces procès. Il y a ce procès qui arrive, l'appel de Simbikangwa en octobre. Il y a encore une trentaine de plaintes à l'instruction à Paris. Nous sommes à l'origine de la plupart de ces enquêtes. Cet engagement ne nous a pas rapporté un centime et nous a coûté cher au plan familial: tous nos week-ends, toutes nos vacances y sont passés."

Q: Qu'est-ce qui a motivé cet engagement et allez-vous continuer à enquêter, en dépit des lenteurs de la justice?

R: "Le génocide est un événement qui nous dévore. On aurait préféré faire autre chose de notre existence, mais il en fait partie, la remplit depuis près de vingt ans.

On a commencé à recueillir des témoignages en 1997. Le collectif a été créé en novembre 2001, dans la foulée du procès de quatre génocidaires en Belgique. Ils étaient tous de Butare (sud), la localité d'origine de mon épouse dont la famille a été massacrée en 1994. Nous y sommes allés pour soutenir les parties civiles. A la fin du procès, elles nous ont dit: +Et vous, que faites-vous en France?+. C'est là qu'on a décidé de créer une association, le CPCR, qui serait consacrée à la recherche des génocidaires réfugiés en France.

C'est sans haine ni vengeance que nous le faisons. Nous voulons juste que les personnes qui auraient trempé dans le génocide rendent compte. Notre travail, c'est d'allumer la mèche de la justice. Si on arrive au stade du procès, c'est une victoire.

On a bien conscience qu'il va être de plus en plus difficile de juger des gens: plus de 20 ans après le génocide, certains témoins se contredisent, sont imprécis. On a encore trente dossiers possibles, on pourrait encore déposer beaucoup de plaintes, mais je ne sais pas ce que l'on fera. On sait bien que le temps joue en faveur des bourreaux."

Propos recueillis par Sofia BOUDERBALA.