En Chine, des femmes d'avocats emprisonnés contre-attaquent

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Surveillées, effrayées, traitées comme des criminelles... Ces femmes n'ont pourtant qu'un tort: être mariées à des avocats embastillés par les autorités chinoises. Mais un an après la disparition de leurs maris, elles entendent désormais défier le pouvoir. 

Une vaste campagne de répression à l'été 2015 a entraîné en Chine l'arrestation de plus de 200 avocats et militants des droits de l'Homme.

Une dizaine d'entre eux, toujours détenus, sont accusés de "subversion du pouvoir d'Etat" -- un crime passible de la prison à vie.

Quant à leurs épouses, elles font l'objet d'une surveillance permanente.

Cette semaine, cinq d'entre elles, vêtues de robes frappées des noms de leurs conjoints, ont pourtant manifesté devant le Parquet populaire suprême à Pékin -- entourées de dizaines de policiers.

Tenues fermement dans leurs mains, des lettres de réclamation accusant les autorités de la ville de Tianjin (nord) -- où la quasi-totalité des maris sont retenus -- d'une kyrielle d'erreurs procédurales.

Les autorités "limitent notre liberté en nous harcelant", explique Wang Qiaoling, dont l'époux Li Heping fait partie des détenus. 

"On est obligé de raser les murs comme des criminelles."

A proximité, des diplomates observaient la scène lundi, témoignant des inquiétudes internationales suscitées par la répression, l'Union européenne et les Etats-Unis ayant appelé à la libération des avocats.

Depuis l'arrivée au pouvoir du président chinois Xi Jinping, le Parti communiste chinois (PCC) entend renforcer son contrôle de la société civile. Les arrestations de l'été 2015 ont constitué le point d'orgue de cette reprise en main.

 

-"Epiées constamment"-

 

Le haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'homme lui-même a jugé ces détentions "inquiétantes". Mais Pékin rejette les critiques, considérées comme des ingérences dans ses affaires intérieures.

Le PCC s'est engagé à mettre en oeuvre sa version de l'"Etat de droit", aux caractéristiques chinoises. La répression des avocats montre toutefois les limites d'une telle promesse, selon les analystes. 

Les tribunaux chinois sont étroitement contrôlés par le PCC, les aveux forcés courants et les affaires criminelles se soldent par un verdict de culpabilité dans ...99,9% des cas, selon les chiffres officiels. 

Le cabinet pékinois Fengrui, qui a défendu des victimes de violences sexuelles, des membres de groupes religieux interdits et des intellectuels dissidents, était au centre de la rafle de 2015.

Cinq de ses employés sont toujours détenus et n'ont pas pu avoir accès à leur famille ni à un défenseur indépendant.

Li Wenzu, épouse de l'avocat Wang Quanzhang, du cabinet Fengrui, dit être épiée constamment dans la rue.

Une caméra, dit-elle, a été installée en face de la porte de son domicile.

"On a peur que si on organise quelque chose ensemble, ils nous retiennent à la maison. Donc on part de chez nous plusieurs jours à l'avance. Et on dort à l'hôtel", explique-t-elle. 

Des agents de l'opaque ministère de la Sécurité d'Etat ont tenté, dit-elle, de lui faire enregistrer une vidéo pour qu'elle implore son mari d'admettre sa culpabilité.

Elle a décliné.

 

- 'Effrayantes' -

 

La télévision publique CCTV a affirmé l'an passé que les avocats détenus ont abusé leurs clients et "créé une nuisance" dans les salles d'audience en se disputant avec des fonctionnaires et en réalisant des enregistrements audios et des photographies.

Quant au cabinet Fengrui, il a été qualifié par des médias d'Etat d'"organisation criminelle".

Depuis l'arrestation de son mari Xie Yang, Mme Chen Guiqiu explique avoir interdiction de quitter le territoire chinois.

"C'est pareil pour chacune d'entre nous. On m'a dit que c'est à cause d'une menace à la sécurité d'Etat. Je ne vois pas en quoi je pourrais être une menace à la sécurité d'Etat", s'étonne-t-elle.

Les polices de Pékin et de Tianjin n'ont pas donné suite aux demandes de commentaires de l'AFP. 

Le Parquet réfléchit toujours à inculper formellement les avocats, indiquent leurs épouses.

Si c'est le cas, les détenus sont quasi-certains d'être condamnés à de lourdes peines de prison. 

"Maintenant, je suis toujours sur la route", résume Mme Fan Lili, épouse du militant Gou Hongguo, en montant dans le wagon d'un métro l'emportant vers sa prochaine destination, gardée secrète. 

"Je n'imaginais pas que les choses soient si effrayantes."