L'hommage tardif de l'Amérique à l'esclave controversé de "la case de l'oncle Tom"

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Sa vie d'esclave au XIXe siècle a inspiré le célèbre roman "La case de l'oncle Tom". Mais, 150 ans après l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis, Josiah Henson reste une figure controversée et l'exhumation de son habitation, près de Washington, prend du temps.

De l'exploitation de tabac et de blé de son maître Isaac Riley il ne reste qu'une maison peinte en blanc à laquelle est toujours accolée une maisonnette en bois et de terre, à Rockville, une banlieue huppée de la capitale américaine.

La maisonnette n'est pas la cabane de Josiah Henson, car sa construction est postérieure à son séjour, mais elle est en tout point semblable aux huttes qu'il évoque dans son autobiographie publiée en 1849, "The Life of Josiah Henson, Formerly a Slave".

Les archéologues ont découvert en-dessous les traces d'une cuisine plus ancienne, dans laquelle Josiah Henson a peut-être dormi occasionnellement. Et ils espèrent que leurs fouilles permettront de mettre au jour la maisonnette qui lui tenait lieu d'habitation. 

L'ancienne plantation où Josiah Henson a vécu pendant 30 ans à partir de 1795 a été rachetée par le comté de Montgomery, dans lequel se trouve Rockville, en 2006.

Pour l'heure, à défaut de pouvoir faire visiter sa hutte, le comté a pour projet de transformer en musée la maison de son ancien maître et la maisonnette encore debout. Un centre d'accueil guidera les visiteurs vers les fouilles archéologiques.

Shirl Spicer, directrice des musées des parcs du comté, a déjà prévu d'y exposer les diverses éditions de l'autobiographie de Josiah Henson et du roman d'Harriet Beecher Stowe, "La case de l'oncle Tom", paru en 1852. Le roman, très populaire à l'époque, contribua à alimenter les tensions entre le Nord des Etats-Unis et le Sud esclavagiste ayant conduit à la Guerre de Sécession (1861-1865).

Mais le musée ne sera pas prêt avant cinq ans car le comté de Montgomery manque d'argent.

 

- 'Honte' -

 

En outre, rendre hommage à celui qui a inspiré "l'oncle Tom" est une tâche délicate : le personnage du roman reste controversé au sein de la communauté noire américaine.

Certains considèrent qu'il "trahit sa race en obéissant à son maître blanc", explique Shirl Spicer. Le terme "oncle Tom" est même devenu synonyme en anglais d'"obséquieux", de "vendu" ou de "collabo".

Des descendants de Josiah Henson, venus discrètement visiter les lieux à Rockville il y a deux ans, ont eux-mêmes expliqué "avoir toujours honte" de leur ancêtre, selon Mme Spicer.

Josiah Henson s'est montré très loyal envers son maître Isaac Riley. En 1825, ce dernier est à court d'argent et veut mettre ses esclaves à l'abri chez son frère, dans l'Etat du Kentucky. Il demande à Josiah Henson de les y emmener et pendant le long périple de plusieurs centaines de kilomètres, effectué à pied, il ne prend pas la fuite.

Josiah Henson revient même voir son maître avec de maigres économies pour acheter sa liberté, en vain. "Il pensait que la seule manière honnête de retrouver la liberté était de l'acheter", raconte l'historienne Jamie Kuhns.

 

- 'Héros' -

 

Mais le comté de Montgomery entend aujourd'hui réhabiliter Josiah Henson. Pour les historiens du cru, il n'est pas l'esclave veule que certains ont vu dans le roman, mais un véritable "héros".

"Nous devons présenter à tout le monde l'homme réel, le héros qui se cache derrière le personnage de fiction", souligne Mme Spicer.

La conservatrice rappelle que Josiah Henson, qui a fini par s'enfuir au Canada en 1830 après avoir été trahi par son maître, est revenu à plusieurs reprises aux Etats-Unis pour sauver d'autres esclaves en les ramenant au Canada par les routes "clandestines" de la liberté.

L'archéologue Cassandra Michaud note aussi n'avoir pas retrouvé trace de fers, de chaînes ou de colliers dans l'ancienne plantation. Sans doute parce que Josiah Henson, un esclave noir qui supervisait d'autres Noirs -fait rare à l'époque- "prenait soin" de la vingtaine de personnes dont il avait la charge.

Jamie Kuhns fait valoir de son côté que "si on vit dans un système fondé sur l'asservissement, c'est dur de rompre". Quand Josiah Henson a été autorisé à fréquenter l'église méthodiste locale, il entendait des sermons de pasteurs blancs qui systématiquement "prônaient l'obéissance" de l'esclave.