Crise des Rohingyas: attaque et accident compliquent l'aide humanitaire

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Prises à la gorge par l'afflux de réfugiés au Bangladesh et cibles d'attaques en Birmanie: les organisations humanitaires peinaient jeudi à venir en aide aux centaines de milliers de réfugiés rohingyas, victimes pour le président français Emmanuel Macron d'un "génocide".

En quelques heures, un bateau de la Croix-Rouge a été attaqué par une foule hostile en Birmanie et au moins neuf humanitaires ont été tuées dans l'accident au Bangladesh d'un camion de la même ONG.

Ces derniers acheminaient des denrées alimentaires pour les plus de 420.000 musulmans rohingyas qui fuient les exactions de l'armée et ont trouvé refuge au Bangladesh.

Près d'un mois après le début de l'opération de l'armée, déclenchée par des attaques de postes de police par des rebelles rohingyas, le président français a parlé jeudi d'un "génocide".

Le chef de l'Etat a confirmé que la France "prendra l'initiative avec plusieurs de ses partenaires du Conseil de sécurité" pour que les Nations unies condamnent "ce génocide qui est en cours, cette purification ethnique, et que nous puissions agir de manière concrète".

Pour les réfugiés, dont les récits font état de viols, de meurtres, de torture, les conditions sont de plus en plus difficiles dans le sud-est du Bangladesh, zone reculée de cet Etat très pauvre.

Les pluies torrentielles de ces cinq derniers jours ont transformé en bourbiers les camps surpeuplés et leurs environs, où campent avec les moyens du bord les nouveaux arrivants faute de place ailleurs.

Ces conditions météo sont à l'origine de l'accident du camion de la Croix-Rouge: "Les victimes étaient assises sur les dix tonnes de vivres", a expliqué à l'AFP Anwarul Azim, garde-frontière bangladais. "La route est étroite et a été endommagée par les pluies des derniers jours", ajoute-t-il.

A certains endroits, l'eau monte dans les tentes jusqu'à un mètre. Les autorités redoutent des glissements de terrain meurtriers.

La distribution alimentaire du jour a dû être annulée, a indiqué à l'AFP une porte-parole de la Croix-Rouge internationale (ICRC).

L'organisation a par ailleurs été victime d'une attaque de l'autre côté de la frontière à Sittwe, dans la capitale de l'Etat Rakhine.

La police birmane a mis plusieurs heures à disperser une foule hostile qui s'en prenait à l'aide de pierres et de cocktails Molotov à un bateau chargé d'équipements destinés aux civils touchés par les troubles.

Celui-ci contenait des vêtements, de l'eau et des moustiquaires et devait se rendre vers Maungdaw, district du nord, épicentre des troubles depuis fin août.

"Notre personnel est sain et sauf, le chargement n'a pas été endommagé et nous allons poursuivre nos actions comme prévu", a indiqué à l'AFP Graziella Leite Piccoli de la Croix rouge internationale.

- Mise en cause des ONG -

Pour les équipes des organisations humanitaires, la situation est très tendue, depuis que le gouvernement birman, dirigé de facto par l'ex-dissidente Aung San Suu Kyi, les a mises en cause, au début des troubles, les accusant d'être liées aux rebelles.

Depuis, la majeure partie des opérations sont arrêtées en Etat Rakhine. L'accès aux populations déplacées, qui sont toujours sur les routes ou cachées dans les montagnes et les forêts, est impossible pour l'instant.

Mardi, l'ONU, qui parle d'"épuration ethnique", avait demandé un "accès complet et sans entrave" au pays, soulignant qu'une grave crise humanitaire était en cours.

Le sort de la minorité musulmane rohingya en Birmanie, où elle est marginalisée depuis des décennies, vaut à Naypyidaw de vives critiques à l'international.

Et le discours de la dirigeante birmane mardi n'a pas convaincu: cette dernière n'a pas condamné les exactions de l'armée et s'est dite "prête" à un retour de réfugiés rohingyas, mais selon des critères qui restaient ambigus.

Devant l'Assemblée générale des Nations Unies, le président nigérian Muhammadu Buhari a comparé la crise au génocide de 1994 au Rwanda et aux massacres de 1995 en Bosnie et estimé que "la communauté internationale ne pouvait pas rester silencieuse".

Mais en Birmanie, l'opinion est chauffée à blanc par ces critiques. Les Rohingyas sont considérés comme des étrangers venus du Bangladesh, même s'ils vivent souvent dans l'ouest du pays depuis des générations.

Le sentiment antimusulman est très répandu dans ce pays d'Asie du Sud-Est à plus de 90% bouddhiste, qui est sorti récemment de décennies de dictature militaire et qui a placé en Aung San Suu Kyi tous ses espoirs.

Ces dernières années, les heurts entre communautés ont été nombreux. Avant la crise actuelle, environ un million de Rohingyas vivaient en Birmanie mais ils sont depuis 1982 des étrangers dans ce pays, qui leur a retiré la citoyenneté.