Pour le général Divjak, défenseur serbe de Sarajevo, Mladic et les siens ont "gagné"

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A Sarajevo, Jovan Divjak ne peut faire dix pas sans être salué, mais pour ce général serbe qui a choisi de défendre sa ville et son multiculturalisme, les prophètes de haine "ont gagné".

Peu importe la peine que le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) infligera mercredi à Ratko Mladic, chef militaire des Serbes de Bosnie pendant la guerre (1992-95, 100.000 morts): "Contre l'idée d'une Bosnie-Herzégovine multinationale, multireligieuse, ils ont gagné", dit-il à l'AFP. "C'est ça le problème".

"Je veux appartenir à un peuple bosno-herzégovinien qui n'existera jamais", poursuit cet octogénaire qui déteste "l'étiquette du +bon serbe+".

"Je suis serbe mais j'ai toujours considéré ça comme une question personnelle, quelque chose de privé", expliquait-il à l'orée du siècle dans un livre d'entretiens, "Sarajevo mon amour".

Quand la guerre fond sur Sarajevo en avril 1992, Divjak, retraité de l'armée yougoslave, y est officier de la défense territoriale de Bosnie. Sa décision immédiate de se placer dans le camp des défenseurs de Sarajevo illustre "une volonté de dire qu'on ne peut pas être exclusivement membre d'un peuple".

Aujourd'hui, Divjak est l'un des 3% de Bosniens (6% à Sarajevo) qui refusent de se définir comme Croates, Serbes ou Bosniaques. Ils sont les "autres", catégorie statistique ultraminoritaire mais dépositaire de l'héritage multiculturel de Sarajevo.

- 'Pas désespéré' -

Aujourd'hui, en Bosnie, "les jeunes sont avec les nationalistes" et "ont plus de haine que (...) pendant la guerre", poursuit le vieux général qui n'est "pas désespéré", juste "réaliste": "C'est une bataille. On doit se battre, même à 3%."

Comme Mladic, 74 ans, Divjak vient d'une famille serbe de Bosnie. Fils d'instituteur nomade, il naît à Belgrade. Ces deux officiers se sentaient yougoslaves avant la déflagration des années 1990. Chez les deux, le maréchal Tito est une figure centrale.

Les convergences s'arrêtent là. Divjak ne fait pas mystère de son mépris pour cet interlocuteur "arrogant, parfois ivre" qu'il croisait lors de pourparlers pendant le siège de Sarajevo: "Il disait qu'il ne voulait pas parler avec une délégation musulmane comprenant un Serbe qui a trahi les Serbes".

"Maxime Gorki disait que le mot +homme+ évoque la dignité. Mladic ne mérite pas d'être qualifié ainsi. Tout être humain n'est pas forcément un homme", tranchait Divjak dans "Sarajevo mon amour". Mladic est "un militaire intouchable, tout-puissant", "quelqu'un de frustre, profondément imprégné par le milieu rural dont il est issu".

- 'J'aime ses habitants' -

"Traître! Pour moi il est un traître". Le nom de Divjak fait s'étrangler Janko Seslija, 57 ans, vétéran de l'unité commando des "Loups blancs", basée pendant la guerre dans le fief nationaliste serbe de Pale, à une quinzaine de kilomètres de Sarajevo. "S'il était parti aux Etats-Unis combattre les Indiens... Mais dans son pays contre son peuple... C'est une honte."

Jovan Divjak reste sous la menace d'un mandat d'arrêt lancé par Belgrade (qui lui avait valu une arrestation à Vienne en 2011), pour l'attaque à Sarajevo d'une colonne de l'armée yougoslave qui se retirait en mai 1992. Il explique avoir au contraire ordonné l'arrêt des tirs, comme semblent l'accréditer les images télévisées de l'époque.

Au bout de la rue où est installée son association "L'éducation pour bâtir la Bosnie-Herzégovine", commence la Republika Srpska, l'entité des Serbes de Bosnie où il ne s'aventure que discrètement. "Ils veulent diriger ma vie", dit-il.

Son association, qui a accordé des bourses à 6.500 élèves et étudiants depuis 1994, se veut ouverte à tous, mais les Serbes n'y viennent pas, ne souhaitant pas être associés à Divjak. Et les autorités bosniaques (musulmans)regardent avec méfiance ce franc-tireur qui s'inquiète à haute voix d'un nationalisme et d'un poids de l'islam croissants.

A plusieurs reprises, il a dénoncé les exactions contre les Serbes. Il avait en 1999 renoncé à son grade de général bosnien après des funérailles grandioses organisées pour "Caco", voyou de Sarajevo soupçonné d'avoir sommairement exécuté des Serbes notamment pour accaparer leurs biens.

"On n'apprend pas à l'école (bosniaque) ou dans les médias qu'il y avait des crimes de guerre du côté de l'armée bosnienne", regrette-t-il.

Aujourd'hui pourtant, Divjak prendrait la même décision que le 8 avril 1992 et défendrait Sarajevo. Pourquoi? "Eh bien ! Parce que j'aime ses habitants", répondait-il "Dans Sarajevo, mon amour".