Brésil: Lula, ou l'art de grimper dans les sondages derrière des barreaux

2 min 43Temps de lecture approximatif

Plusieurs sondages ont confirmé cette semaine ce qui passerait dans bien d'autres pays que le Brésil pour une incroyable bizarrerie : le candidat Lula progresse dans tous les sondages pour la présidentielle d'octobre alors même qu'il est en prison et sera très probablement inéligible.

L'ex-président et figure historique de la gauche caracole en tête avec près de 40% des intentions de vote, le double de son suivant immédiat. Autant dire qu'à ce stade 57 millions de Brésiliens se disent prêts à voter pour celui qui fut deux fois président (2003-2010) du plus grand pays d'Amérique latine.

Depuis avril dernier, personne, à part ses gardiens et quelques rares visiteurs, n'a vu ni entendu Luiz Inacio Lula da Silva, qui purge à Curitiba (sud) une peine de plus de 12 ans de prison pour corruption et blanchiment d'argent.

Ce grand tribun a perdu la parole: il n'a plus le droit de s'exprimer que par écrit. Il a été le seul des 13 candidats à la présidentielle à ne pouvoir participer aux deux premiers débats de ce début de campagne. Au deuxième, les candidats ont même décidé d'enlever le pupitre vide qui marquait symboliquement sa présence dans la course.

Pourtant trois sondages le créditent cette semaine de 37 à 39% des intentions de vote, près de 10 points de plus qu'en juin, alors même que la justice électorale risque fort de le disqualifier d'ici au 17 septembre.

Comment Lula réussit-il cette prouesse, tout en étant réduit au silence et aux quatre murs de sa cellule?

"Le peuple veut Lula", proclame le Parti des travailleurs (PT) de l'ancien dirigeant syndical de 72 ans, pour qui une élection sans son fondateur serait non-démocratique. 

Mais encore? "Lula progresse en raison de la notoriété de la marque Lula et du fait que la plupart des autres candidats ne sont pas connus", hormis Jair Bolsonaro, sulfureux député d'extrême droite et numéro deux des sondages, explique Jason Vieira, des consultants Infinity Assets.

M. Vieira ajoute qu'alors que l'hypothèse de la prison devenait de plus en plus probable en début d'année, Lula a sillonné une partie du pays avec des caravanes de militants de gauche. Il aurait pris de fait une longueur d'avance sur la campagne.

En outre, Lula, tout en étant aussi mal-aimé de nombreux Brésiliens, est une figure centrale, quasi tutélaire, de la scène politique brésilienne depuis la fin de la dictature militaire (1964-85). 

Depuis 2002, il a remporté deux élections présidentielles, puis deux autres à travers les victoires de sa dauphine Dilma Rousseff, élue sur son héritage.

"Lula domine la scène politique depuis 20 ans ou plus", et "quand il n'est pas en lice, la population est très indécise", estime José Augusto Guilhon Albuquerque, professeur des Relations internationales à l'Université de Sao Paulo.

De fait, à un mois et demi du premier tour du 7 octobre, 28% des électeurs sont indécis dans un scénario sans Lula, un chiffre élevé qui rend le scrutin très incertain.

 

- Omniprésence de Lula -

 

La campagne du PT repose sur le bilan plutôt flatteur des années Lula où près de 30 millions de Brésiliens ont été extraits de la pauvreté, à une époque où le Brésil était en pleine croissance, et non en crise comme aujourd'hui. 

"Lula président, pour que le Brésil redevienne heureux", est le mantra du PT.

Mais pour les analystes politiques, la décision du PT de maintenir la candidature de son fondateur est un pari très risqué. L'omniprésence de Lula va compliquer la tâche de son probable joker en cas d'invalidation: Fernando Haddad.

Peu connu des Brésiliens, l'ex-maire de Sao Paulo, choisi comme vice-président sur le ticket de Lula, recueille à peine 4% des intentions de vote dans le dernier sondage Datafolha avec un scénario sans Lula.

Le report des voix de Lula vers Haddad risque d'être mauvais: seulement 31% des électeurs de Lula disent qu'ils suivraient sa consigne de vote, s'il était mis hors course, quelle qu'elle soit.

"C'était correct de maintenir la candidature de Lula, mais en annonçant tôt le nom de son éventuel remplaçant", dit le chercheur Ruy Fausto. "Celà lui aurait donné de bonnes chances".

js-pt/cn