Face aux crimes contre l'humanité, la justice française au défi

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Entre un contentieux qui explose et se diversifie et des procédures longues et coûteuses, la justice française fait face à de nombreux défis pour traiter les affaires de crimes contre l'humanité.

Avec six magistrats - trois du parquet et trois juges instructeurs - et six assistants spécialisés, le pôle "Crimes contre l'humanité, crimes et délits de guerre" du tribunal de grande instance (TGI) de Paris traite aujourd'hui environ 120 dossiers, enquêtes préliminaires et informations judiciaires confondues, en vertu d'une compétence universelle qui l'autorise à poursuivre des personnes soupçonnées de ces crimes si elles sont sur le territoire français.

"Soit une activité multipliée par six depuis sa création" en 2012, a souligné jeudi le procureur de Paris, François Molins, lors des premières journées internationales de ce pôle spécialisé, organisées jeudi au sein des nouveaux locaux du TGI, dans le quartier parisien des Batignolles.

Mis sur pied face à l'afflux de dossiers en lien avec le génocide rwandais, le pôle a vu progressivement les affaires se diversifier.

Géographiquement tout d'abord: désormais, il traite des dossiers concernant "une quinzaine de zones", parmi lesquelles la Syrie - qui occupe la deuxième place après le Rwanda - la Libye, le Liberia, la Tchétchénie, ou encore l'Irak, a indiqué Aurélia Devos, vice-procureur à la tête du parquet au pôle.

Mais le contentieux doit aussi aborder aujourd'hui de nouveaux champs, tels que le financement et le blanchiment du produit de ces crimes, a-t-elle observé.

- "Enjeux nouveaux" -

Par ailleurs, "depuis six ans, des enjeux nouveaux apparaissent", en lien notamment avec le droit d'asile, a souligné M. Molins.

Ainsi, au cours des neuf premiers mois de l'année, plus de quarante signalements de l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) sur des personnes réclamant l'asile en France et suspectées d'avoir commis des crimes graves dans leur pays d'origine sont parvenus au pôle, contre une vingtaine seulement en 2017.

Pour la procureure générale de Paris, Catherine Champrenault, "l'activité du pôle, qui est déjà lourde, ne pourra que s'aggraver encore, tant les conflits récents que connaît notre monde s'accompagnent d'actes qualifiables de crimes contre l'humanité, voire de génocide".

Or, pour la magistrate, la justice française manque de moyens financiers et humains. "La cour d'appel de Paris ne pourra assurer correctement, à effectifs et ressources constants, l'organisation et la tenue de futurs procès tels que ceux du génocide rwandais" de 1994.

Quatre procès d'assises - deux en première instance et deux en appel - se sont déjà déroulés en lien avec ces massacres déclenchés après l'assassinat le 6 avril 1994 du président rwandais Juvénal Habyarimana qui ont fait, selon l'ONU, environ 800.000 morts en trois mois, essentiellement au sein de la minorité tutsi: l'ex-officier de la garde présidentielle Pascal Simbikangwa a été condamné définitivement à 25 ans de réclusion pour génocide, et deux anciens maires à la réclusion criminelle à perpétuité.

Mais il est à prévoir que "le nombre de procès ne fera qu'augmenter", selon Mme Champrenault. Reste que ceux-ci "sont très complexes à organiser et à tenir": engageant un nombre important de magistrats et de fonctionnaires, parfois avec un an d'avance pour pouvoir tout organiser, ils représentent un temps d'audience moyen de 250 heures, soit environ 40 jours, et coûtent cher, "de l'ordre du million d'euros".