Lion Air, un accident meurtrier et beaucoup de questions autour de Boeing

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La communauté aéronautique s'interrogeait mercredi sur les raisons pour lesquelles Boeing a omis d'informer compagnies et pilotes que ses 737-MAX étaient dotés d'un nouveau système anti-décrochage, dont une défaillance a pu conduire à l'accident meurtrier d'un appareil de Lion Air.

Les moteurs du moyen-courrier 737-MAX sont plus lourds que ceux équipant l'ancienne version du best-seller du constructeur américain. Ce qui a pour conséquence de modifier les conditions dans lesquelles un décrochage de l'avion --une chute brutale-- peut se produire.

Boeing a procédé à des changements dans le système de contrôle de l'appareil sans toutefois en informer les transporteurs aériens et leurs équipages, selon le syndicat américain des pilotes de ligne.

"Nous aurions dû être informés", a réagi Dennis Tajer, porte-parole du syndicat APA. "C'est insensé", a-t-il ajouté, alors que le manuel de l'avion n'en fait pas non plus mention.

"Comment cela a pu se produire est définitivement un problème qu'il faudra résoudre. Boeing devra s'en expliquer", a poursuivi le porte-parole, par ailleurs pilote sur 737.

Ne pas communiquer toutes les informations ne correspond pas à "la culture de sécurité" qui prévaut habituellement dans le monde aéronautique, s'est-il étonné.

Sollicité par l'AFP, Boeing n'a pas commenté ces informations. Mardi, l'avionneur avait indiqué que la sécurité était sa priorité et qu'il collaborait étroitement avec les enquêteurs pour faire la lumière sur l'accident de la compagnie à bas coûts indonésienne Lion Air, qui a fait 189 morts fin octobre.

Dans une lettre envoyée le 10 novembre à l'ensemble des pilotes, l'APA souligne que la consigne de navigabilité d'urgence émise récemment par Boeing ne s'attaque pas au problème des informations erronées des capteurs d'incidence (AOA, Angle of Attack sensor) "qui pourraient être le système causal de l'accident de Lion Air".

"Ceci est fondamental", écrit Mike Michaelis, président du comité de la sécurité du syndicat. "Etre conscient (des changements et des éventuels dysfonctionnements) est la clé de tous les problèmes relatifs à la sécurité", rappelle-t-il.

Dans ce cas particulier, un dysfonctionnement sur les AOA peut conduire l'ordinateur de bord, pensant être en décrochage, à mettre l'appareil en piqué alors qu'il faudrait au contraire le redresser.

L'APA insiste sur la nécessité pour les pilotes de reprendre la main sur la machine pour éviter une issue fatale.

"Nous ne pensons pas que Boeing ait pu omettre de façon intentionnelle de divulguer une information critique pour ses opérateurs ou clients relative à des systèmes clé de l'avion", a commenté Addison Schonland, expert aéronautique.

- Deux ou trois sondes? -

Il relève par ailleurs que "les dysfonctionnements relatifs aux capteurs de vitesse avaient été relevés sur cet appareil sur plusieurs vols précédents".

Richard Aboulafia, expert chez Teal Group, estime que l'une des explications plausibles est que le constructeur a sous-estimé la situation, jugeant le changement suffisamment mineur pour ne pas en faire état auprès des compagnies.

S'agissant de la nécessité de mieux former les pilotes sur les nouveaux avions, un autre expert aéronautique, qui a souhaité gardé l'anonmyat, souligne que les constructeurs Boeing comme Airbus ne préconisent pas de longues formations lorsqu'il s'agit de piloter des avions dans leur version modernisée comme c'est le cas du 737-MAX.

Car l'environnement et la philosophie de pilotage de l'appareil restent inchangés. "Les constructeurs préconisent généralement quelques jours de formation pour s'adapter aux nouveaux appareils", explique-t-il.

En revanche, il s'interroge sur le choix de Boeing d'avoir opté pour équiper le 737-MAX de deux sondes et non trois comme c'est le cas sur son concurrent l'Airbus A320.

"Si les deux sondes émettent des informations différentes et que le pilotage automatique ne se déconnecte pas immédiatement pour que les pilotes reprennent le contrôle de l'appareil, cela pose une sérieuse question de sécurité, de certification de l'appareil", dit-il tout en étant très circonspect sur un tel scénario.

"Je ne sais pas si avoir trois sondes est plus sûr mais il est étrange que le système de stabilisation automatique de l'appareil (des 737-MAX) puisse ne dépendre que d'une seule sonde alors que les deux sont nécessaires pour indiquer un décrochage", a estimé de son côté un pilote américain sous couvert d'anonymat.

L'appareil accidenté n'était entré en service qu'au mois d'août dans la flotte de Lion Air.

A ce jour, seule la boîte noire collectant les données du vol a été retrouvée. Celle enregistrant les sons dans le cockpit (CVR) pourrait contenir des données précieuses sur le comportement des pilotes et les alarmes qui ont retenti au moment de l'accident.