Engagée dans un bras de fer contre Manille, une journaliste déterminée à se battre

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La journaliste philippine Maria Ressa est menacée de prison, le site d'informations qu'elle a cofondé pourrait fermer mais elle n'a aucun doute sur la marche à suivre face à la vague d'attaques lancée contre elle par le gouvernement: se battre.

Son site, Rappler, a adopté une ligne critique contre la guerre antidrogue meurtrière menée par le président Rodrigo Duterte, dans laquelle des milliers de personnes ont été tuées. En conséquence, le média est la cible d'une campagne de répression soutenue de la part des autorités.

Mme Ressa, 55 ans, est poursuivie pour une série de fraudes fiscales supposées. Il y a quelques jours, elle s'est présentée devant le tribunal pour répondre de l'un de ces chefs et a été libérée sous caution.

Elle assure que ni elle ni son site ne sont coupables d'avoir menti au fisc, ajoutant que ces poursuites sont "politiques".

"Je n'ai rien à cacher. Nous n'avons rien fait de mal. Je suis prête à défier le gouvernement et je vais leur faire rendre des comptes", explique-t-elle à l'AFP lors d'un entretien dans le bureau de Manille de Rappler.

"Je n'ai pas peur de ce que fait (le gouvernement). En fait, je dénonce leurs mensonges. Nous allons les combattre devant la justice", dit-elle.

Elle encourt jusqu'à 10 ans derrière les barreaux.

- "Intimider et harceler" -

Dans la première affaire, elle est attendue vendredi devant le tribunal qui lui notifiera officiellement les charges pesant sur ses épaules.

Dans ce dossier, Mme Ressa et Rappler sont accusés de ne pas avoir payé l'impôt sur des obligations vendues en 2015 pour trois millions de dollars. En janvier, le régulateur boursier a révoqué dans ce cadre la licence du site, une décision contestée par Rappler et qui est toujours pendante.

"Ils veulent intimider. Ils veulent harceler", a poursuivi Mme Ressa. "L'objectif de tout ça c'est (de nous forcer) à nous taire. D'arrêter de publier."

Le gouvernement avait assuré la semaine dernière que M. Duterte n'avait rien à voir avec les poursuites. "Nous ne nous mêlons jamais du fonctionnement de la justice".

Un certain nombre de médias philippins ont remis en cause la campagne de répression antidrogue du président. Depuis 2016, la police dit avoir tué près de 5.000 trafiquants ou toxicomanes présumés.

Les défenseurs des droits estiment qu'en réalité, ce bilan est trois fois supérieur, et que la campagne pourrait relever d'un crime contre l'humanité.

Rappler, qui emploie une trentaine de journalistes, dont une majorité de femmes âgées d'une vingtaine d'années, n'a cessé de publier des papiers sur la guerre contre la drogue. Les plus récents citent des miliciens qui racontent avoir été payés par la police pour tuer des dealers ou des criminels supposés.

Mme Ressa martèle que le site n'est pas antiDuterte, qu'il fait juste son travail, à savoir contraindre le gouvernement à répondre de ses actions.

- Campagne de haine -

Mais depuis l'arrivée au pouvoir de M. Duterte voici deux ans, Rappler est la cible d'une campagne au vitriol sur internet.

A un moment, fin 2016, Mme Ressa recevait jusqu'à 90 messages de haine par heure.

"J'ai l'impression que Rappler est attaqué depuis deux ans et demi", dit-elle.

Avec les poursuites judiciaires, cette campagne d'attaques a changé de braquet cependant.

Les tribunaux philippins sont connus pour céder aux pressions des puissants.

"Je crois toujours qu'il y a des gens au sein du gouvernement qui veulent rester dans le droit chemin, qui croient aux valeurs de la Constitution", veut cependant espérer Mme Ressa.

"Nous allons nous battre devant la justice même si les dés ont l'air pipés".

Elle ne comprend pas la logique de l'accusation, qui soutient que Rappler est devenu une agence de courtage dès l'instant où il a vendu les obligations, et qu'il n'était plus un média.

"C'est comme de dire que jaune, c'est bleu. Comment fait-on pour se battre contre quelqu'un qui tente de convaincre les gens que jaune c'est bleu?"