Le génocide rwandais au prisme du roman

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"Est-ce qu'il y a eu d'autre Shoah que la Shoah?" C'est pour tenter de répondre à cette question d'un jeune garçon juif que Yoan Smadja, 35 ans, Français résidant à Tel Aviv, a écrit "J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de toi", un roman sur le génocide rwandais.

Q: Comment est née l'idée de ce livre?

R: "L'idée d'écrire a commencé il y a une dizaine d'années au retour d'un voyage que j'avais co-organisé au Rwanda en 2006.

A l'époque, j'étais animateur d'un mouvement de jeunesse juif. Un jour, à l'occasion de la Journée à la mémoire des victimes de la Shoah, un jeune garçon âgé de 8 ou 9 ans m'a demandé s'il existait d'autre Shoah que la Shoah.

On peut répéter +plus jamais ça+ à tout bout de champ mais si on n'est capable pas d'en parler, si nous ne sommes pas capables d'identifier (un génocide) chez les autres on passe à côté de quelque chose.

Je suis parti au Rwanda avec une trentaine de jeunes Français dont une dizaine de rescapés du génocide des Tutsis qui vivaient en France. Le projet visait à travailler sur les thématiques de la mémoire et de la reconstruction avec l'objectif de dresser des parallèles entre les différents génocides du XXe siècle. Nous avons passé une semaine au Rwanda puis une semaine en Israël.

Notre séjour au Rwanda a eu lieu douze ans après le génocide, et a déclenché chez moi l'envie d'en parler.

Je crois que ça venait simplement du fait que c'était un événement qui a eu lieu alors que j'avais eu la chance de naître à tel endroit à tel moment alors que d'autres vivaient l'effacement total de l'humanité".

Q: Pourquoi le choix du roman?

R: "Moi qui étais surtout un lecteur de romans, je m'étais fait la réflexion à l'époque (ça a changé entre temps) que le génocide des Tutsis était un événement qui n'avait presque pas été traité par le prisme du roman.

Bien sûr, il y a eu la trilogie extraordinaire de Jean Hatzfeld, il y a les livres de Patrick de Saint-Exupéry, les témoignages comme celui d'Annick Kayitesi-Jozan (rescapée tutsie qui faisait partie du voyage au Rwanda avec Yoan Smadja, ndlr), il y a eu +Petit pays+ de Gaël Faye, les livres de Scholastique Mukasonga...

C'est un roman, pas un livre d'histoire mais j'ai rencontré beaucoup de rescapés, des femmes qui avaient été violées, des femmes qui avaient été infectées par le VIH. On a rencontré des orphelins, des parents qui ont perdu leurs enfants, on a rencontré des gens qui ont assassiné leur conjoint... On est si peu préparé à ça, on ne peut pas l'être...

Les lettres de Rose (une jeune Tutsie muette héroïne du roman, ndlr) ne parlent que de printemps. Je voulais qu'on se rende compte que tout ça a duré une saison, en trois mois! Ça dépasse l'entendement. A ma petite mesure c'est mon hommage à ces gens-là".

Q: Dans votre roman, vous n'êtes pas tendre à l'égard de la France

R: "Le personnel tutsi qui travaillait à l'ambassade de France n'a pas été évacué. Je me suis contenté de cette dimension-là. J'ai volontairement voulu circonscrire l'histoire aux dix, quinze premiers jours du génocide pour essayer de retranscrire la brutalité avec laquelle tout cela s'est embrasé. Je n'aborde pas du tout l'opération Noroît, l'opération Turquoise.

Effectivement, je ne suis pas tendre mais, même si j'ai lu des mots de regrets et d'excuses, des témoignages de soldats disant +on a fait ce qu'on nous disait de faire et on n'a pas pu faire autrement+, ce que je veux bien croire, il reste que certains employés de l'ambassade ou de l'Institut français n'ont pas été évacués alors que c'étaient des gens qui avaient consacré leur vie professionnelle à servir la France. A titre personnel, ça me bouleverse."

("J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de toi" (Belfond) de Yoan Smadja, sortie 4 avril, 17 euros)

Propos recueillis par Alain JEAN-ROBERT