Crimes contre l'humanité: un chef rebelle tchadien mis en examen à Paris

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Un important chef rebelle tchadien, opposant au président Idriss Déby Itno, a été mis en examen vendredi soir à Paris dans une enquête ouverte voici deux ans pour crimes contre l'humanité concernant des opérations de recrutement d'enfants-soldats au Tchad et au Soudan.

Arrêté lundi matin, le général Mahamat Nouri a été mis en examen pour "crimes contre l'humanité" et "participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime contre l'humanité", puis placé en détention provisoire, a-t-on appris de source judiciaire.

Un deuxième suspect, l'opposant Abakar Tollimi, a lui aussi été présenté à des juges d'instruction mais il a été placé sous le statut intermédiaire de témoin assisté.

Selon le ministère public, ils sont "soupçonnés d'avoir diligenté des opérations de recrutements forcés de combattants, dont des mineurs", au Tchad et dans la province frontalière soudanaise du Darfour entre décembre 2005 et juillet 2010.

"On sait qu'il y a eu des exactions au Tchad entre 2005 et 2010, et notamment des enfants dans des groupes armés, mais mon client conteste que cela ait été le cas dans son propre groupe", a réagi auprès de l'AFP Me Elise Le Gall, l'avocate du chef rebelle.

Elle a ajouté qu'elle allait demander la nullité de la mise en examen et faire appel du placement en détention provisoire.

Agé de 72 ans, le général Mahamat Nouri, considéré comme l'un des plus influents chefs rebelles au régime du président tchadien, avait été arrêté à son domicile du Val-de-Marne, tandis que les deux autres suspects, Abakar Tollimi et Abderahmane Khalifa Abdelkerim, l'avaient été au même moment en Mayenne et en Indre-et-Loire.

Abderahmane Khalifa Abdelkerim a été remis en liberté mercredi soir "en l'absence d'éléments incriminants", selon le parquet.

Les arrestations avaient été effectuées par les enquêteurs de l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH), dans une enquête préliminaire ouverte par le parquet le 10 mai 2017, à la suite d'un signalement de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

C'est auprès de cet organisme que le chef rebelle avait déposé une demande d'asile, qui avait été rejetée.

- Compétence universelle -

Le pôle crimes contre l'humanité et crimes de guerre du tribunal de Paris s'est saisi de ce dossier en vertu d'une compétence universelle qui l'autorise à poursuivre des suspects s'ils sont sur le territoire français.

Le général Nouri est un proche d'Hissène Habré, renversé en 1990 par Idriss Déby Itno.

Ministre de la Défense de 2001 à 2003 puis ambassadeur en Arabie saoudite, le général est entré en rébellion en mai 2006.

A l'époque, il s'installe au Soudan, avec son groupe rebelle, l'UFDD (Union des forces pour la démocratie et le développement). En novembre 2006, il lance une offensive avec d'autres rebelles tchadiens dans l'est du Tchad, non loin de la frontière avec le Soudan, avant d'être repoussé par l'armée.

Plus tard, il prendra la tête d'autres rébellions au sein de l'Alliance nationale (AN) qui mène en février 2008, à partir du Soudan, une offensive sur N'Djamena, la plus importante contre le régime du président Déby depuis son accession au pouvoir en décembre 1990.

Ils ont été tout près de renverser le régime de Déby, retranché dans son palais, avant d'être chassés par l'armée tchadienne au terme de violents affrontements.

Paris avait à l'époque apporté un soutien décisif à l'armée, mais démenti toute participation directe aux combats.

En 2008, le général est condamné à mort au Tchad. Expulsé du Soudan en 2010, il s'exile un an au Qatar avant de se réfugier en France.

En janvier 2017, Paris a gelé ses avoirs pour six mois, ainsi que ceux d'un autre rebelle tchadien, Mahamat Mahadi Ali.

Le secrétaire général de l'association La Convention Tchadienne de Défense des Droits de l'homme a dénoncé vendredi auprès de l'AFP le fait que "le soutien inconditionnel du gouvernement français au système de M. Deby l'amène à pourchasser ses opposants réfugiés sur le sol français".

Dans des rapports en 2007, 2009 et 2010 concernant les enfants et les conflits armés, les Nations Unies avaient relevé la présence de mineurs dans des groupes armés au Tchad.

Pour la période allant de septembre 2007 à décembre 2008, l'un des rapports soulignait notamment que "des milliers d'enfants sont encore associés à des groupes armés appartenant à diverses factions rebelles telles que (...) l'Union des forces pour la démocratie et le développement".