Le Soudan se dote d'un nouveau pouvoir

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La transition vers un pouvoir civil au Soudan, née de l'accord historique entre les militaires et la contestation, a pris corps mercredi avec l'investiture du Conseil souverain et d'un nouveau Premier ministre, saluée par l'ONU.

Plus de quatre mois après la destitution et l'arrestation du président Omar el-Béchir, poussé vers la sortie par des mois de manifestations, le Soudan est doté de nouvelles institutions, le Conseil souverain devant superviser la transition qui durera un peu plus de trois ans.

Un gouvernement devrait être formé dans la semaine qui vient, puis les nouvelles institutions s'attelleront à tenter de redresser un pays à l'économie exsangue et marqué par des conflits meurtriers dans plusieurs régions.

L'économiste Abdallah Hamdok, ancien collaborateur des Nations unies, a prêté serment comme Premier ministre lors d'une brève cérémonie à Khartoum, peu de temps après avoir atterri dans la capitale soudanaise depuis Addis Abeba.

"Les priorités du gouvernement seront d'arrêter la guerre, de construire une paix durable, de faire face à la sévère crise économique et de mettre en place une politique étrangère équilibrée", a-t-il déclaré à des journalistes.

Quelques heures plus tôt, le Conseil souverain avait été intronisé en remplacement du Conseil militaire de transition qui avait pris les rênes du pays depuis la chute de M. Béchir le 11 avril.

Ces deux avancées ont été saluées dans un communiqué du Conseil de sécurité de l'ONU. "Il s'agit de pas importants pour apporter la paix et la sécurité à la population du Soudan", souligne ce texte publié à New York.

Le Soudan n'est désormais plus exclusivement dirigé par des militaires, pour la première fois en trois décennies, même si l'armée doit dans un premier temps présider le Conseil souverain.

Le chef du Conseil militaire sortant, le général Abdel Fattah al-Burhane, a prêté serment à sa tête.

Vêtu de son uniforme militaire et coiffé de son habituel béret vert, il a été intronisé lors d'une courte cérémonie, une main sur un exemplaire du Coran et un bâton de maréchal sous le bras. Les autres membres de la nouvelle instance --composée de six civils et cinq militaires-- ont prêté serment peu après.

Parmi eux, deux femmes, dont une issue de la minorité chrétienne.

- Défis intérieurs et extérieurs -

Selon les termes de l'accord officiellement signé samedi, le général Burhane dirigera le Conseil pendant 21 mois et un civil lui succédera pour le reste des 39 mois de transition prévus.

Les nouvelles institutions vont faire face à de lourds défis.

Le Soudan a souffert de dizaines d'années de sanctions américaines. En 2017, l'embargo économique a été levé, mais Washington maintient le pays sur la liste noire des "Etats soutenant le terrorisme".

En outre, l'Union africaine a suspendu le Soudan de l'organisation panafricaine en juin, quelques jours après la dispersion meurtrière d'un sit-in des protestataires à Khartoum.

Selon un comité de médecins proche de la contestation, plus de 250 personnes ont été tuées dans la répression sur l'ensemble des huit mois de révolte, d'après la même source.

Sur le plan intérieur, les nouvelles autorités auront la lourde tâche de redresser une économie exsangue et de pacifier un pays encore marqué par plusieurs conflits, du Darfour (ouest) au Kordofan-Sud (sud).

Dans son communiqué, le Conseil de sécurité appelle à reprendre "rapidement" les négociations pour mettre un terme à ces différents conflits.

L'intronisation du nouveau Conseil a été bien accueillie dans la rue mais des habitants ont averti qu'ils resteront vigilants.

- Béchir jugé -

"Si le Conseil ne répond pas à nos aspirations et ne sert pas nos intérêts, nous n'hésiterons pas à faire une autre révolution", a mis en garde Ramzi al-Taqi, un vendeur de fruits. "Nous renverserons le Conseil tout comme nous l'avons fait avec l'ancien régime".

Les nouvelles institutions se mettent en place au moment où s'est ouvert le procès d'Omar el-Béchir, porté au pouvoir par un coup d'Etat et qui a dirigé le pays pendant 30 ans.

Il a comparu lundi devant un tribunal de Khartoum, pour répondre d'accusations de corruption. Selon des enquêteurs, il a reconnu avoir perçu 90 millions de dollars en espèces de l'Arabie saoudite, hors budget de l'Etat.

Son procès ne concerne toutefois pas les accusations de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et de génocide dans la région du Darfour (ouest) pour laquelle le recherche la Cour pénale internationale (CPI) depuis une décennie.

Amnesty International a exhorté Khartoum à ratifier le Statut de Rome de la CPI, ce qui permettrait de transférer M. Béchir devant ce tribunal.

Malgré l'euphorie, des craintes subsistent dans le camp de la contestation en raison notamment de l'omniprésence de Mohamed Hamdan Daglo, chef d'une redoutée force paramilitaire qui a été nommé au Conseil souverain.

Depuis avril, il était N°2 du Conseil militaire de transition, et c'est lui qui a cosigné samedi l'accord avec la contestation.

Ses Forces de soutien rapide (RSF) sont accusées d'implication dans la répression de la contestation, et de crimes au Darfour sous le régime Béchir.