Au Pérou, le fujimorisme en plein déliquescence

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Première force politique du Pérou, le fujimorisme, du nom de l'ex-président Alberto Fujimori (1990-2000), emprisonné tout comme sa fille Keiko, héritière du clan, est en perte de vitesse face à un politicien novice, mais déterminé, le président Martin Vizcarra.

"Le fujimorisme est devenu une force politique très faible. Malgré leur contrôle du Parlement, les fujimoristes sont dans une situation critique depuis l'année dernière", explique à l'AFP le politologue Fernando Rospigliosi.

Mélange de populisme autoritaire, de conservatisme sociétal et de libéralisme économique, ce courant fondé par Alberto Fujimori, dont les ancêtres étaient japonais, pourrait d'ailleurs se retrouver minoritaire après les élections législatives anticipées du 26 janvier, convoquées lundi par le président Vizcarra dans la foulée de l'annonce de la dissolution du Parlement.

Omniprésent dans le paysage politique péruvien depuis 1990, ce courant, aujourd'hui représenté par le parti Fuerza popular fondé en 2010 par Keiko Fujimori, la fille aînée de l'ex-président, était redevenu la première force politique du pays à la faveur des élections de 2016.

Mais la situation n'a cessé de se dégrader. "Le fujimorisme se retrouve totalement affaibli par la dissolution du Parlement. Le parti est totalement en crise", estime auprès de l'AFP un autre politologue, Luis Benavente.

Alberto Fujimori, 81 ans, emprisonné depuis 2007 pour crimes contre l'humanité et corruption, a laissé les rênes de son mouvement à Keiko. Mais l'héritière, âgée de 44 ans, est en détention préventive depuis onze mois dans le cadre du vaste scandale de corruption Odebrecht -- du nom du géant du BTP brésilien -- qui éclabousse la classe politique latino-américaine.

Depuis lors, Fuerza popular n'a cessé de perdre du terrain, déjà marqué par les deux défaites successives de Keiko au second tour des élections présidentielles de 2011 et 2016, sur fond de rivalité avec son petit frère, Kenji, 39 ans, un député devenu progressivement une personnalité politique de premier plan.

Après avoir imposé à son parti une attitude belliqueuse et poussé l'ex-président Pedro Pablo Kuczynski (2016-2018) à la démission pour son implication présumée dans le scandale Odebrecht, la cheffe de Fuerzo popular pouvait considérer l'austère Martin Vizcarra, vice-président propulsé à la tête de l'Etat, comme une proie facile à contrôler. Mais c'est le contraire qui s'est produit.

- Réformes anti-corruption -

D'abord parce que son propre courant s'est déchiré autour de sa lutte fratricide avec Kenji. Alors que Keiko poussait le Parlement à destituer le président Kuczynski par le vote d'une motion au Parlement, celle-ci échouait après l'inattendue volte-face d'une dizaine de parlementaires fujimoristes emmenés par Kenji.

Le benjamin du clan est alors devenu une cible : il a été suspendu de son siège de député par le Parlement après la diffusion d'une vidéo le montrant en train de négocier l'achat de votes pour éviter la destitution de "PKK" comme le surnomment les Péruviens, en échange de la grâce de son père, condamné à 25 ans de prison. Une diffusion qui a précipité la chute du président en exercice.

Les tentatives de Keiko Fujimori pour manipuler Martin Vizcarra, un ingénieur sans aucun lien avec les milieux d'affaires et les partis traditionnels, ont par ailleurs échoué. Le chef de l'Etat a notamment forcé le Parlement à adopter un ensemble de réformes anti-corruption, qui ont fait bondir sa popularité dans un pays où les quatre derniers présidents ont eu maille à partir avec la justice.

Le placement en détention provisoire de l'héritière fujimoriste, qui a déposé un recours devant la Cour constitutionnelle, a encore aggravé la crise au sein de son parti, entraînant de nouvelles défections.

Les récents alliés du fujimorisme, le président du Parlement, Pedro Olaechea, et la vice-présidente Mercedes Araoz, qui s'était progressivement éloignée du président Vizcarra, n'ont pas été d'une grande aide.

Le premier a été balayé par la dissolution du Parlement décidée lundi par le chef de l'Etat, et la deuxième, désignée par les députés comme présidente par intérim en remplacement de Martin Vizcarra en guise de riposte, a finalement démissionné.

"Je ne pense pas que le fujimorisme va disparaître, mais il sera très diminué lors des élections du 26 janvier", prédit Luis Benavente. "Sur le plan électoral, je ne pense pas qu'il puisse se rétablir dans un avenir immédiat", analyse Fernando Rospigliosi.

"Mais qui sait, nous sommes au Pérou", conclut ce dernier.