Gambie: deux frères ennemis de l'ex-junte enterrent la hache de guerre

1 min 58Temps de lecture approximatif

Deux anciens militaires ayant joué un rôle clé dans le coup d'Etat qui a porté Yahya Jammeh au pouvoir en Gambie en 1994 avant de devenir d'irréductibles ennemis pendant 25 ans, se sont réconciliés mercredi devant la Commission vérité et réconciliation (TRRC) de ce pays d'Afrique de l'Ouest.

Depuis janvier, des dizaines d'auditions de victimes et d'ex-caciques ou hommes de main de l'ancien pouvoir ont révélé à des Gambiens abasourdis l'ampleur des violations des droits de l'homme commises pendant les 22 années de régime de Yahya Jammeh, parti en exil en janvier 2017 en Guinée-équatoriale après sa défaite face à l'opposant Adama Barrow.

A l'issue d'une audience au cours de laquelle un ex-garde du corps présidentiel a expliqué avoir incendié les locaux d'un journal d'opposition, deux des anciens plus proches lieutenants de Yahya Jammeh ont posé côte-à-côte devant les caméras de la télévision nationale, avant de se serrer la main puis de s'étreindre.

Sana Sabally et Edward Singhateh faisaient partie de la poignée de jeunes officiers ayant renversé le président Dawda Jawara en juillet 1994 dans cette ancienne colonie britannique enclavée dans le Sénégal à l'exception d'une étroite façade atlantique.

Sana Sabally, devenu numéro 2 de la junte après le coup d'Etat, et Edward Singhateh, ministre de la Défense, s'étaient ensuite rapidement brouillés, dans un climat de terreur et de paranoïa de plus en plus pesant.

Mardi, lors de sa troisième audition, Edward Singhateh a expliqué avoir personnellement arrêté en novembre 1994 Sana Sabally et le ministre de l'Intérieur Saddibou Hydara, convoqués dans son bureau par Yahya Jammeh, qui les soupçonnait de vouloir le renverser.

Admettant sa "responsabilité", il a néanmoins affirmé n'avoir pas imaginé à l'époque que ses deux anciens camarades allaient subir de terribles tortures, décrites lors de son audition en avril par Sana Sabally. Ce dernier, qui a fait neuf ans de prison, avait expliqué avoir vu Saddibou Hydara succomber "dans (ses) bras" à la suite de traitements d'une cruauté insoutenable.

"Quand j'ai écouté le témoignage d'Edward, j'ai compris que nous faisions partie de la même catégorie: d'un côté nous étions des victimes, d'un autre côté nous étions des oppresseurs", a expliqué mercredi soir Sana Sabally.

"Donc j'ai initié cette réconciliation afin que nous puissions demander pardon ensemble à la nation, afin que les victimes puissent trouver dans leur coeur (la force) de nous pardonner", a ajouté l'ancien putschiste.

"Ce n'est pas ce que nous avions décidé en 1994, nous pensions tous les deux que ce pays serait un paradis", a pour sa part regretté Edward Singhateh. Avant de lui dire: "Je n'ai pas de mots pour exprimer mes regrets d'avoir contribué à ce que vous et votre famille avez traversé. Au moins, nous nous sommes serrés la main aujourd'hui, comme nous le faisions auparavant".

La Commission pourra, au terme de ses travaux qui devraient encore durer un an, recommander des poursuites ou des réparations. Elle ne peut en revanche pas prononcer de condamnations.