Élection présidentielle sous tension au Sri Lanka

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Le Sri Lanka a voté samedi lors d'une élection présidentielle émaillée d'incidents qui pourrait permettre le retour au pouvoir des Rajapaksa, un puissant clan ayant gouverné l'île d'une main de fer pendant une décennie.

Presque cinq ans après la défaite électorale de Mahinda Rajapaksa (2005-2015), son jeune frère Gotabaya, 70 ans, est en compétition féroce avec le candidat du parti au pouvoir UNP, Sajith Premadasa, 52 ans, pour diriger l'État sri-lankais durant le prochain quinquennat.

Les résultats pourraient être connus dès dimanche à 06H30 GMT si un candidat a une majorité claire, mais seulement lundi si le score se révèle serré. La Commission électorale a prévenu que des inondations dans certaines régions risquaient de retarder les opérations de dépouillement.

Quelques heures avant le début du scrutin, des hommes armés ont ouvert le feu sur un convoi d'une centaine de bus transportant des électeurs musulmans, sans faire de blessés, a annoncé la police. Deux électrices faisant partie du convoi ont plus tard été blessées lorsque des assaillants inconnus ont bombardé leur bus de pierres, selon la même source.

Dans une zone à majorité tamoule du nord du pays, la police a aussi signalé à la Commission électorale des barrages illégaux de l'armée susceptibles d'empêcher des électeurs d'aller voter. Les forces de l'ordre ont également arrêté 10 hommes suspectés "d'essayer de créer des troubles".

Le vote des musulmans et des tamouls, minorités globalement défavorables aux puissants Rajapaksa, pourrait jouer un rôle crucial dans ce scrutin incertain. Les observateurs interprètent ces incidents comme des tentatives de faire baisser le taux de participation de ces populations.

De telles tactiques sont courantes au Sri Lanka, pays de 21 millions d'habitants ayant émergé il y a 10 ans de quatre décennies d'une guerre civile qui a fait 100.000 morts. Lors de la précédente présidentielle en 2015, plusieurs explosions s'étaient produites dans le Nord tamoul, dans le but de dissuader les citoyens alentour de se rendre aux urnes.

Les partisans de partis rivaux se sont aussi affrontés samedi dans une zone de plantations de thé à 90 kilomètres à l'est de la capitale Colombo. Deux personnes ont été hospitalisées avec des blessures à l'arme blanche à la suite de ces heurts, a indiqué la commission électorale.

Selon le président de la Commission électorale Mahinda Deshapriya, la participation s'est établie à un peu plus de 80%, contre 81,5% à la présidentielle de 2015.

"C'est l'élection présidentielle la plus pacifique que nous ayons eue dans ce pays", a-t-il déclaré. 85.000 policiers étaient mobilisés pour le scrutin.

- Affaires de familles -

Lieutenant-colonel à la retraite, Gotabaya Rajapaksa est pour cette élection le représentant de la sulfureuse famille des Rajapaksa. L'ancien militaire était l'une des clés de voûte du régime de son frère Mahinda (2005-2015), empêché par la Constitution actuelle de se présenter, et son élection marquerait le retour aux affaires de la fratrie.

En tant que plus haut responsable du ministère de la Défense à l'époque, Gotabaya commandait de fait les armées sri-lankaises au moment de l'écrasement de la rébellion séparatiste tamoule en 2009. 40.000 civils tamouls ont péri au cours de cette ultime offensive, selon les défenseurs des droits humains qui accusent les Rajapaksa de crimes de guerre.

Ce bain de sang avait sonné la fin de 37 ans de guerre civile et vaut aux Rajapaksa d'être adulés au sein de la majorité ethnique cinghalaise, mais détestés et craints par la minorité tamoule qui constitue 15% des 21,6 millions de Sri-Lankais.

"Gotabaya protègera notre pays, nous le connaissons bien", a déclaré à l'AFP Wasantha Samarajjeew, un ouvrier de 51 ans venu voter à Colombo.

La posture d'homme fort adoptée par Gotabaya, qui promet de combattre la corruption et l'extrémisme islamiste dans une nation traumatisée par les attentats jihadistes du 21 avril qui ont fait 269 morts, lui vaut le surnom de "Terminator" au sein même de sa famille.

Par contraste, son principal rival Sajith Premadasa, fils du président Ranasinghe Premadasa assassiné par la guérilla en 1993, est un responsable politique discret qui espère mobiliser le vote des femmes en promettant d'améliorer l'hygiène menstruelle.

Gotabaya Rajapaksa est notamment accusé - ce qu'il nie - d'avoir dirigé sous la présidence de son frère des "escadrons de la mort" qui ont enlevé à bord de camionnettes blanches des dizaines de Tamouls, d'opposants politiques ou de journalistes. Certains de leurs corps ont été ensuite jetés sur la route, d'autres n'ont jamais été retrouvés.

Un retour au pouvoir des Rajapaksa préoccupe aussi l'Inde voisine et les Occidentaux en raison de la proximité du clan avec la Chine.

Pékin a prêté des milliards de dollars au Sri Lanka pendant les deux mandats de Mahinda Rajapaksa pour de grands projets d'infrastructures, une dette colossale qui place ce pays stratégique de l'océan Indien dans une situation de dépendance vis-à-vis de la Chine.