Roumanie : de la douleur et peu d'espoir au procès de la révolution de 1989

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Beaucoup de douleur et peu d'espoir: plusieurs centaines de Roumains ont assisté vendredi à l'ouverture du procès des crimes commis lors de la révolution de 1989, même s'ils sont nombreux à douter que la lumière puisse être faite, trente ans après l'insurrection contre le régime communiste.

"Saura-t-on la vérité sur les événements? Peut-être d'ici trente ans, quand on sera tous morts", lance Gheorghe Preda, 62 ans. Cet homme en chaise roulante a perdu un oeil le 23 décembre 1989 à Craiova (sud) alors qu'il était sorti faire ses courses de Noël.

Il ignore toujours qui a ouvert le feu sur les passants alors que le dictateur communiste Nicolae Ceausescu avait été arrêté la veille.

Devant la Haute cour de cassation et de justice (ICCJ) de Bucarest, survivants et proches des victimes se sont pressés vendredi à l'audience préliminaire d'un procès historique pour la société roumaine.

Principal accusé : l'ex-président Ion Iliescu, jugé pour "crimes contre l'humanité". Absent pour la première audience, cette figure de la politique roumaine, aujourd'hui âgée de 89 ans, doit répondre de la mort de 862 personnes, victimes de "tirs chaotiques et fratricides" qui ont également fait 2.150 blessés entre les 22 et 31 décembre.

Jusqu'au 22 décembre, c'est sur ordre de Ceausescu que l'armée et les forces de l'ordre ont tiré sur la foule. Mais la plupart des victimes, plus de 900, sont tombées après la chute du dictateur.

Ion Iliescu, ex-ministre de la Jeunesse de Ceausescu, avait alors pris les commandes d'un Front de salut national (FSN). Selon le parquet, l'ex-apparatchik communiste a orchestré une "vaste opération de diversion et de désinformation" afin d'"obtenir une légitimité aux yeux du peuple".

Elu premier président de la Roumanie démocratique (1990-1996 puis 2000-2004), M. Iliescu rejette ces accusations.

- 30 ans d'"humiliations" -

Parmi les quelque 5.000 parties civiles au procès, Monica, 53 ans, est venue accompagnée de son fils, en mémoire de son mari tué le 23 décembre devant le siège du ministère de la Défense.

Aurel Dumitru se dit révolté par les errances de la justice roumaine durant trente ans "d'humiliations" pour les victimes. "Mon seul espoir est qu'une nouvelle révolution commence", dit cet homme âgé de 60 ans, blessé par 12 balles alors qu'il était au volant de sa Dacia dans la nuit du 22 au 23 décembre.

Elena Bancila, 75 ans, s'est elle aussi rendue de bonne heure à la Haute cour de justice : son fils Bogdan était parti manifester le 22 décembre contre le régime communiste, il a été abattu devant le siège de la télévision publique à Bucarest "attaqué par des terroristes", selon la version des autorités de l'époque. Au total, 72 personnes ont été tuées au même endroit.

Le but était de "semer la terreur, de tenir les Roumains cloîtrés chez eux pour qu'Iliescu puisse s'installer à la tête du pays", assure Mme Bancila.

Dans ce procès qui va durer des mois, un ex-vice-Premier ministre, Gelu Voican-Voiculescu, et l'ancien chef de l'aviation militaire Iosif Rus sont eux aussi poursuivis pour "crimes contre l'humanité".

Selon l'historien Madalin Hodor, la Securitate (la police politique communiste) et l'armée, responsables de la répression menée avant le 22 décembre, ont également joué un rôle clé dans les crimes des jours suivants.

- Cacher la vérité -

"La présence à de hauts postes de personnes dont l'intérêt était de cacher la vérité a détourné l'enquête et retardé le procès", estime Marius Mioc, un insurgé de 1989 actif dès les premières heures du soulèvement anticommuniste.

La Roumanie a été le dernier pays, parmi les anciens satellites soviétiques, à renverser le régime communiste. Le soulèvement avait éclaté le 16 décembre 1989 à Timisoara, avant de gagner Bucarest le 21 décembre. Nicolae Ceausescu et son épouse Elena avaient pris la fuite le lendemain et ont été jugés sommairement puis exécutés le 25 décembre.

Nicoleta Giurcanu raconte avoir passé des années à "reconstruire le puzzle" de l'expérience traumatisante qu'elle a vécue en 1989, "tabassée et humiliée" au siège de la milice communiste, puis en prison. Elle avait 14 ans.

"Je veux voir Iliescu en prison si ce n'est qu'un seul jour", dit-elle aujourd'hui.