Du Nobel au tribunal, la chute d'Aung San Suu Kyi sur la scène internationale

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Ancienne championne de la démocratie, Aung San Suu Kyi est désormais en première ligne face aux accusations de génocide dont son pays fait l'objet, après la décision surprise de la cheffe de facto du gouvernement birman de faire face elle-même au tribunal de l'ONU à La Haye.

"Nous sommes à vos côtés", proclament de grandes affiches installées à travers la Birmanie, arborant des portraits rayonnants de la lauréate du prix Nobel de paix alors qu'elle se prépare à affronter la Cour internationale de Justice (CIJ) au sujet de la crise des Rohingyas.

Les partisans de Suu Kyi impriment des T-shirts, organisent des rassemblements et s'inscrivent même à des voyages VIP organisés à La Haye pour montrer leur soutien.

Les partis politiques et même certains groupes armés rebelles ont redoublé d'efforts pour soutenir la dirigeante, dans un pays où les Rohingyas suscitent peu de sympathie et sont largement considérés comme des immigrants illégaux.

Pourtant, à l'étranger, en particulier en Occident et dans le monde musulman, "la Dame de Rangoun", autrefois saluée aux côtés du Mahatma Gandhi et de Nelson Mandela, est perçue comme l'apologiste d'une entreprise militaire meurtrière visant à anéantir les musulmans rohingyas du pays. De multiples récompensés lui ont été retirées, ainsi que sa nationalité canadienne.

Le spectacle de Suu Kyi défendant sa Nation devant un tribunal pourrait être bénéfique chez elle, mais il risque de porter un coup fatal à ce qu'il reste de sa réputation internationale.

"Si elle ne se sert de cette visite que pour défier le monde et continuer à défendre l'indéfendable, cela ne fera que renforcer l'impasse", a expliqué à l'AFP David Mathieson, un spécialiste des droits de l'homme installé à Rangoun.

- Reconnaissance timide -

Au nom de 57 pays musulmans, la Gambie appellera la CIJ le 10 décembre à annoncer des mesures provisoires pour empêcher tout nouveau génocide en Birmanie.

Le minuscule État d'Afrique de l'Ouest, en majorité musulman, affirme que la Birmanie a violé la Convention des Nations Unies sur le génocide avec sa répression sanglante contre sa communauté Rohingya il y a deux ans.

Quelque 740 000 Rohingyas ont fui dans des camps tentaculaires au Bangladesh, emportant avec eux des témoignages de meurtres, de viols et d'incendies criminels généralisés - des exactions que des enquêteurs de l'ONU ont qualifiées de génocide.

La Birmanie affirme que les opérations visaient des insurgés et insiste sur le fait que les allégations d'abus font actuellement l'objet d'une enquête par ses propres comités. Mais pour les groupes de défense des droits de l'homme, ces comités ne font que blanchir les atrocités.

L'équipe des Nations Unies a également accusé Aung San Suu Kyi et son gouvernement de complicité dans la violence - une chute stupéfiante pour l'icône des droits de l'Homme qui a passé 15 ans assignée à résidence sous l'ancienne junte militaire.

Elle a systématiquement rejeté les critiques envers l'armée birmane, y compris le rapport accablant des Nations unies, au prétexte que le monde extérieur ne comprend pas la complexité de la situation.

Sa seule concession, une reconnaissance timide lors du Forum économique mondial de l'an dernier - "la situation aurait pu être mieux gérée" -, n'a pas fait taire les critiques.

- De la politique ou des principes? -

Les observateurs sont divisés sur les raisons pour lesquelles Suu Kyi a décidé de se mettre sous les projecteurs.

Pour certains, protéger les forces armées dans cette affaire pourrait permettre à la leader d'obtenir en échange un assouplissement de la Constitution rédigée par les militaires.

"Il y aura plus de négociations et de concessions entre le gouvernement et l'armée", selon le politologue Maung Maung Soe.

Pour d'autres, elle ne fait que flatter l'électorat avant le scrutin présidentiel de l'an prochain, dont la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d'Aung San Suu Kyi, devrait sortir grand vainqueur.

"La majorité des partis politiques pense que (la LND) va tirer bénéfice de l'élection", a déclaré à l'AFP Khin Yi de l'USDP, un parti d'opposition affilié à l'armée.

Mais pour l'historien et écrivain birman Thant Myint U, il ne s'agit pas seulement d'un calcul politique. "Je pense qu'elle ressent vraiment une grande colère contre ce qu'elle considère comme une réponse injuste du monde extérieur. Je pense qu'elle veut vraiment faire valoir cet argument devant les tribunaux", a-t-il déclaré lors d'un événement à Bangkok.

"Elle croit sincèrement qu'elle est la mieux placée" pour cela, a-t-il ajouté.

Seul un trio de groupes armés rebelles - le MNDAA, le TNLA et les AA, eux-mêmes en guérilla avec l'armée - ont osé faire entendre leur soutien aux accusations de génocide.

Ils n'ont cependant pas utilisé le terme "Rohingya", parlant dans un communiqué de "Bengali", un terme considéré comme péjoratif, car suggérant que ces musulmans sont originaires du Bangladesh.

Aye Lwin, du Centre islamique de Rangoun, a pour sa part déclaré que Aung San Suu Kyi faisait ce qu'il fallait en assumant personnellement la responsabilité et en se rendant à La Haye, où toute l'étendue des atrocités commises serait mise à nu. "Il ne s'agit pas de gagner ou de perdre. Il s'agit de révéler la vérité et de corriger une injustice."

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