Des victimes de tortures du régime syrien obtiennent un procès en Allemagne

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Les Syriens Anwar Raslan et Anwar al-Bunni se sont croisés par hasard dans un grand magasin de Berlin il y a cinq ans. Le second a alors reconnu le premier comme étant celui qui, affirme-t-il, le jeta pendant cinq ans dans une geôle du régime de Bachar al-Assad.

Anwar Raslan est selon le justice allemande le plus gradé des deux anciens membres des services de renseignement syriens qui prendront place jeudi en Allemagne dans le box des accusés du premier procès au monde des exactions attribuées au régime de Damas.

L'audience devant le tribunal de Coblence constitue "un message important" adressé aux dirigeants syriens et à leurs exécutants: "Il n'y aura jamais d'impunité pour vous, alors réfléchissez!", lance l'avocat syrien Anwar al-Bunni dans un entretien à l'AFP à Berlin, où il est réfugié depuis cinq ans et demi.

Ce sexagénaire, infatigable militant des droits de l'Homme dans son pays natal, récolte aujourd'hui éléments à charge et témoignages contre des responsables syriens pour que des poursuites soient engagées.

- Compétence universelle -

Plusieurs pays parmi lesquels l'Allemagne et la France appliquent en effet le principe de la "compétence universelle" qui permet à un Etat de poursuivre les auteurs de crimes contre l'humanité quelle que soit leur nationalité et l'endroit où ils ont été commis.

Même s'il ne peut plus exercer son métier à Berlin, Anwar al-Bunni, figure respectée parmi les 700.000 Syriens réfugiés en Allemagne, a convaincu des victimes de témoigner.

"Il ne s'agit pas de vengeance mais de connaître la vérité", explique à l'AFP l'avocat allemand Patrick Kroker, qui représente six Syriens parties civiles, auxquels devraient s'ajouter deux femmes.

Ces victimes, réfugiées dans différents pays européens, "veulent que le monde apprenne ce qui s'est passé là-bas", ajoute le juriste.

L'ancien colonel Raslan a déserté l'armée syrienne en 2012 avant d'arriver en Allemagne le 26 juillet 2014.

Il est accusé d'avoir en mai 2006 arrêté Anwar al-Bunni devant son domicile à Damas puis de l'avoir fait incarcérer pendant cinq ans jusqu'à sa libération en 2011 lors du soulèvement syrien.

Ironie du sort, c'est dans son exil berlinois qu'Anwar al-Bunni a recroisé le chemin d'Anwar Raslan. Arrivés à deux mois d'intervalle, ils se retrouvent hébergés dans le même foyer de demandeurs d'asile à Berlin.

"Je me suis dit que je connaissais cet homme mais je ne l'ai pas reconnu tout de suite", se souvient-il en tirant sur une cigarette électronique.

Quelques mois plus tard, il tombe de nouveau nez à nez avec lui dans un grand magasin mais cette fois, il sait qui est cet homme.

Et lorsqu'il commence en 2016 à travailler avec des juristes pour rassembler des preuves, il apprend que les enquêteurs allemands s'intéressent déjà de près à Anwar Raslan, finalement arrêté à Berlin en février 2019.

La justice allemande accuse aujourd'hui Anwar Raslan d'être responsable de la mort de 58 personnes et de la torture d'au moins 4.000 autres d'avril 2011 à septembre 2012 dans le centre de détention d'Al-Khatib à Damas, dont il avait la charge.

- 'Très brutales' -

Tous ceux qui viendront témoigner à la barre "ont subi des maltraitances physiques parfois très brutales et sur une longue période", assure Patrick Kroker.

Leur crime? "Par exemple avoir participé à des manifestations, avoir filmé un rassemblement, ou avoir collecté des médicaments pour des gens blessés lors de manifestations".

Malgré leur fuite en Europe, les victimes restent terrifiées et préfèrent souvent garder le silence par crainte de représailles contre les proches restés en Syrie ou parce qu'elles redoutent des menaces d'éventuels agents syriens en Europe.

Pour Anwar al-Bunni, le combat est loin d'être terminé. Un millier de Syriens impliqués dans des crimes commis par Damas vivent aujourd'hui en Europe sans être inquiétés, selon lui.

Quant à la prison Al-Khatib, "on continue de torturer" encore aujourd'hui, assure-t-il.

A Coblence, les victimes s'exprimeront "aussi" au nom de ceux qui ne pourront pas être là, conclut Patrick Kroker, "soit parce qu'ils sont encore emprisonnés, soit parce qu'ils ont peur ou n'ont pas pu arriver en Europe. Soit parce qu'ils sont morts, victimes de la torture".