Brésil: une députée contre les monuments esclavagistes

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Au Brésil, le lourd passé esclavagiste reste présent à travers des monuments ou des noms de rue, symboles que la députée Erica Malunguinho veut remettre en cause avec un projet de loi pour relire l'Histoire sous un autre angle.

Cette parlementaire noire de 38 ans, la première transsexuelle élue à l'assemblée législative de l'Etat de Sao Paulo, sait qu'il est impossible d'effacer totalement ce chapitre douloureux de l'Histoire du dernier pays d'Amérique à avoir aboli l'esclavage, en 1888.

Mais avec son projet de loi visant à interdire tout hommage à des esclavagistes, elle espère voir cette Histoire racontée non plus "du point de vue des bourreaux", mais de celui "de ceux qui ont lutté et résisté à ces violences".

"L'esclavage a laissé des blessures profondes, qui n'ont toujours pas cicatrisé. Pour que notre société soit plus égalitaire, il faut raconter notre Histoire autrement", explique la députée à l'AFP.

Les inégalités raciales restent béantes au Brésil, où plus de la moitié des 212 millions d'habitants est noire ou métisse.

Si des statues de marchands d'esclaves ont été déboulonnées au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis lors de manifestations antiracistes ayant suivi la mort de George Floyd, Erica Malunguinho, elle, veut que les pouvoirs publics passent eux-mêmes au crible l'ensemble des monuments, ainsi que les noms des rues et des bâtiments publics.

"Il faut mettre ces statues et ces noms à leur place, dans des musées, ou un autre endroit où l'on fournit des explications sur cette triste période", précise la députée du PSOL, parti de gauche qui avait pour célèbre membre Marielle Franco, conseillère municipale noire assassinée en 2018.

- Explorateurs esclavagistes -

Pour ce faire, son projet de loi propose entre autres la création d'"une sorte de "Commission de la Vérité" du patrimoine, une référence à la commission du même nom créée pour enquêter sur les exactions de la dictature militaire (1964-1985).

"Je ne demande pas qu'on retire tous les monuments ou qu'on change tous les noms de rue, mais je voudrais qu'une commission formée d'historiens, de muséologues et de membres de la société civile puisse débattre sur le sujet", poursuit Erica Malunguinho.

Un des symboles dans sa ligne de mire est la figure des "Bandeirantes", ces aventuriers qui ont exploré l'intérieur des terres brésiliennes à partir du XVIe siècle à la recherche de richesses minérales, mais aussi d'esclaves indigènes qu'ils vendaient par la suite dans des mines ou des plantations.

Beaucoup d'entre eux ont été représentés plusieurs siècles plus tard comme de "nobles explorateurs", immortalisés par des statues ou ont donné leur nom à des rues ou des bâtiment publics emblématiques. Le siège du gouvernement de l'Etat de Sao Paulo a par exemple été baptisé "Palais Bandeirantes".

Le projet de la députée vise à "éviter que Sao Paulo ne reproduise les vieilles pratiques d'hommages à des personnes liées aux violences esclavagistes, dont ont été victimes les indigènes et la population noire".

À ses détracteurs qui l'accusent de vouloir "effacer l'Histoire", elle rétorque: "l'Histoire ne s'efface pas, mais il faut trouver d'autres façons de la raconter".

Son projet de loi, présenté le mois dernier, pourrait être soumis au vote en août. Elle garde l'espoir de le voir approuvé, même si le Parlement de Sao Paulo est surtout composé d'hommes blancs et conservateurs.