Tempête de critiques en Côte d'Ivoire contre la candidature de Ouattara à un troisième mandat

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L'annonce par le président ivoirien Alassane Ouattara qu'il se représentait pour un troisième mandat à la présidentielle du 31 octobre, a déclenché vendredi une tempête de critiques de l'opposition et de la société civile, jugeant sa candidature illégale et dangereuse pour la paix.

"Alassane Ouattara ne peut en aucun cas se présenter. Ses propres experts l'ont dit", a déclaré à l'AFP Assoa Adou, secrétaire général du Front populaire ivoirien (FPI), l'un des deux plus importants partis d'opposition, évoquant la constitution qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels.

Jeudi soir, le chef de l'Etat, 78 ans, a annoncé dans une allocution télévisée qu'il se représentait, jugeant que la constitution l'y autorisait et invoquant un "cas de force majeure" après le brusque décès du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, qui était le candidat désigné par le parti au pouvoir, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).

Pour N'Goran Djédri, membre du bureau politique du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI, principale formation d'opposition), "M. Ouattara n'est pas au dessus des lois".

"Nous sommes en face d'un projet de coup d'Etat civil (...) une violation grave de la Loi fondamentale", a jugé Moussa Touré, directeur de la communication de Guillaume Soro, l'ex-chef de la rébellion ivoirienne et ancien allié du président, passé à l'opposition, exilé en France, privé de ses droits civiques et néanmoins candidat à la présidentielle.

- "Dix ans en arrière" -

"Sa décision de briguer un troisième mandat nous ramène dix ans en arrière et risque de replonger la Côte d'Ivoire dans une période d'effroi, de division et de chaos", a-t-il ajouté, évoquant la crise post-électorale de 2010-11 qui a fait 3.000 morts.

L'opposition et le pouvoir sont en désaccord sur l'interprétation de la nouvelle constitution adoptée en 2016 : le pouvoir affirme que le compteur des mandats a été remis à zéro, mais pas l'opposition, qui juge que la législation actuellement en vigueur en Côte d'Ivoire reste applicable.

Les réactions les plus virulentes sont venues de la société civile.

"En succombant à la tentation de l'éternité politique, vous risquez de faire sombrer la Côte d'Ivoire dans un chaos. Allez vous sacrifier tout ce que vous avez bâti pour vous classer du mauvais coté de l'histoire ?", s'est interrogé sur les réseaux sociaux Meyway, star de la musique ivorienne.

M. Ouattara avait annoncé solennellement en mars qu'il voulait "laisser la place aux jeunes générations", mais a expliqué jeudi s'être ravisé après la mort de M. Gon Coulibaly qui "laisse un vide", et face au "risque que tous nos acquis (depuis 2011) soient compromis".

"Comment quelqu'un qui a fait deux mandats sans paix, sans réconciliation, dans les entraves aux libertés et dans l'appauvrissement des Ivoiriens, peut-il vouloir briguer un troisième mandat ?" a réagi Pulcherie Gbalet, présidente d'Alternative citoyenne ivoirienne (ACI), organisation de la société civile proche de l'opposition.

- "Les vieux ne sont pas sages" -

Si le régime Ouattara peut se targuer d'une croissance économique record depuis neuf ans, de nombreux observateurs estiment qu'il a échoué sur la question de la "réconciliation" après la décennie de crise des années 2000, et pas assez pris en compte les questions sociales.

"Les vieux ne sont pas sages, ils se comportent comme dans une cour de récré", a ironisé l'écrivain satirique Gauz, visant les candidatures du chef de l'Etat et de l'ex-président Henri Konan Bédié, qui se représente à 86 ans pour le PDCI.

"Aujourd'hui, plus que jamais, la Côte d'Ivoire est fatiguée du trio Ouattara, Bédié, Gbagbo qui l'a conduit à l'abime", tranche, de son côté l'écrivain franco-ivoirien Serge Bilé.

Laurent Gbagbo, ancien président ivorien acquitté en première instance par la Cour pévale internationale (CPI) de crimes de guerre et crimes contre l'humanité a demandé un passeport pour rentrer en Côte d'Ivoire.

Outre MM. Ouattara, Bédié et Soro, trois autres candidats se sont déclarés pour la présidentielle : Pascal Affi Nguessan, qui dirige une faction du FPI, Abdallah Albert Mabri Toikeusse, ministre démissionnaire passé dans l'opposition, et Marcel Amon Tanoh, ex-chef de la diplomatie dissident du RHDP.

Du côté du pouvoir, aucun responsable du RHDP n'était joignable vendredi pour commenter l'annonce du président.

Sidi Touré, ministre de la Communication, a remercié le président Ouattara "d'avoir accepté d'être le choix du peuple de Côte d'Ivoire, pour conduire les aspirations légitimes des militants et sympathisants du RHDP" à la présidentielle.

En Guinée voisine, un probable troisième mandat du président Alpha Condé, 82 ans, fait également l'objet de vives critiques de l'opposition qui le juge illégal.